Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout au plus 90 millions d’habitans, serait beaucoup plus peuplé d’après des voyageurs récens. M. Stanley porte à 6 millions le nombre des indigènes qui vivent sur les bords du lac Victoria. Toute la région centrale des grands lacs est fertile, salubre, par conséquent la race humaine s’y est multipliée. D’après les estimations actuelles, il n’y aurait pas moins de 300 millions d’âmes entre le cap de Bonne-Espérance et la Méditerranée.

S’il en est vraiment ainsi, puisque aucun fleuve ne pénètre jusqu’à la région où pullulent ces peuplades primitives, c’est par des chemins de fer qu’il faut les atteindre. Comme point de départ, on n’a que le choix. Toute baie où les navires du commerce stationnent avec sécurité peut devenir le terminus d’une voie ferrée pourvu qu’une chaîne de montagnes ne barre pas en arrière l’accès du continent. Du Zanzibar, du Congo, du Sénégal, d’Alexandrie, de Tripoli, d’Alger, des lignes de rails s’avanceront vers l’intérieur, à peu près partout dans les mêmes conditions de sol, de climat, de trafic. Plus tard, elles se souderont les unes aux autres; pour commencer, chacune aura sa zone propre d’activité. En vérité, comment y aurait-il concurrence entre elles à travers les milliers de kilomètres qui les séparent? Chaque puissance européenne peut s’y faire sa part sans gêner les autres.

Ainsi les Français partiront de l’Algérie d’une part, du Sénégal d’autre part, et se donneront rendez-vous sur le haut Niger; c’est le projet de M. Duponchel développé jusqu’à ses extrêmes limites. Un autre projet français, élaboré par M. Beau de Rochas à une date plus récente, se dirige sur le méridien de Constantine à travers les bas-fonds de Tougourt, de façon à se rapprocher du Djebel-Hogghar et de l’Ayr. Arrivé là, il se bifurque d’un côté vers le lac Tchad, de l’autre vers le bas Niger. Il est notoire que ce tracé atteindrait les plus belles régions du Soudan par une route plus directe que le tracé de M. Duponchel. Ce sont des grands chemins de caravane mieux connus, plus peuplés que les plateaux du Sahara central ; mais il est probable que la nature y présentera plus d’obstacles, d’autant plus que l’on n’y est point, comme sur le méridien d’Oran préféré par M. Duponchel, dans le cercle d’influence de nos établissemens algériens.

Plus à l’est encore, une ligne presque directe tracée de la côte de Tripoli au lac Tchad s’offre comme le chemin le plus court entre le Soudan et la Méditerranée. C’est, croyons-nous, la route la plus fréquentée par les caravanes. Le désert stérile s’y réduit à sa moindre largeur ; les dunes de sables mobiles, si dangereuses pour un chemin de fer, y disparaissent presque tout à fait. L’un des plus vaillans explorateurs de l’Afrique septentrionale, M. Gerhard Rohlfs, est le chef d’une expédition qui vient de partir dans cette direction,