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septentrionale des milliers de kilomètres de rails comme il en existe entre le Missouri et le Canada. Ce n’est point cependant la place qui manque pour une expérience en grand de la méthode en usage dans le Nouveau-Monde. L’espace s’étend au sud de la zone que nous occupons, immense en largeur et plus encore en profondeur. Un ingénieur des ponts et chaussées, M. Duponchel, s’est mis en tête de démontrer que la création d’un chemin de fer trans-saharien serait non-seulement possible, bien plus, qu’elle serait profitable. A première vue, l’idée paraît audacieuse. Le Sahara a un mauvais renom dans le monde. Depuis Virgile jusqu’à nos jours, on l’a toujours appelé le pays de la soif, deserta siti regio. Où l’eau manque, la végétation fait aussi défaut. Qu’exporter de cette plaine stérile? qu’y conduire, puisqu’il n’y a pas d’habitans? Mais déjà les voyageurs modernes ont rectifié l’idée fausse que nous nous en faisions. Le Sahara n’est pas une plaine, ni un désert; on y a découvert des montagnes ; dans ces montagnes vivent des peuplades qui ne sont même pas barbares; on y récolte des productions qui ont une valeur marchande. Bien mieux, à part la chaleur, le climat est salubre. Ce n’est pas à dire que le moment soit déjà venu d’échelonner tout de suite des escouades d’ingénieurs et d’ouvriers entre Alger et Tombouctou. Sans conclure trop vite à une réalisation hâtive, l’étude de M. Duponchel mérite de nous occuper. Le projet que l’on qualifierait d’utopie aujourd’hui sera peut-être mûr avant la fin du siècle. Les colonies sont des pays à surprises. Il n’est pas besoin de sortir de l’Algérie pour en trouver la preuve. Ceux qui s’intéressent depuis longtemps à notre colonie d’Afrique se souviennent sans doute qu’il y a vingt et quelques années (ce devait être en 1855) quelqu’un présenta le projet d’un vaste réseau de chemins de fer reliant les capitales des trois provinces, Alger, Oran, Constantine. On s’en amusa presque, tant le projet semblait extraordinaire. Ce qui paraissait alors invraisemblable est aujourd’hui terminé, ou peu s’en faut, et même les locomotives roulent ou rouleront demain sur d’autres lignes auxquelles on ne pensait pas alors. Suivons donc M. Duponchel, sans nous montrer trop incrédules, à la recherche des stations futures du railway trans-saharien.


I.

Il convient d’abord d’examiner le pays que traverserait ce long chemin de fer. Tant de gens ont visité l’Algérie et tant d’autres en ont entendu parler qu’il serait superflu d’en donner ici la moindre description. Toutefois il est resté quelque chose à dire au point de vue dont il s’agit, puisque ce qui nous intéresse dans la présente