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force des choses. Seulement on a commis une grande faute vis-à-vis d’eux en ajournant la conversion, et en la déclarant inopportune. Les rentiers qui ont déjà pu constater par expérience ce que signifient au fond ces questions d’inopportunité se sentiront plus rassurés qu’ils ne doivent l’être. Beaucoup de gens, même sur la foi de cette déclaration, se sont remis à racheter du 5 pour 100, et si on veut plus tard leur proposer une réduction d’intérêt, ils seront d’autant plus irrités et crieront à la trahison.

Quand une mesure est mûre, comme l’est la conversion, il faut l’exécuter résolument; au moins on ne trompe personne, et s’il y a des mécontens, il y en a toujours, même pour les réformes les plus utiles, on doit s’en rapporter à l’avenir pour vous rendre justice et ratifier ce qui a été fait. Le statu quo qu’on voudrait maintenir est le plus déplorable des expédiens. S’il nous était permis de prendre un exemple dans une question que nous avons souvent traitée ici, nous dirions qu’on commet à propos de la conversion la même faute qu’on a faite pour la monnaie. Il y a dix ans et plus, lorsqu’on a demandé qu’on adoptât l’étalon d’or unique et qu’on réduisît l’argent à n’être plus qu’une monnaie d’appoint, ce dernier métal n’avait encore perdu que 1 ou 2 pour 100 par rapport à l’or, et il y en avait au plus pour 1,500 millions dans le pays ; on a déclaré la question inopportune et on a préféré attendre. Aujourd’hui l’argent perd de 16 à 17 pour 100, et il y en a en France pour 2 milliards 1/2 dont on ne sait que faire. L’embarras est devenu très grand. Cet exemple est précieux, et on pourrait le méditer. Eh bien, au lieu de cela on s’apprête à faire la même faute pour la conversion. Il y a un mois, elle était très facile, tout le monde y était préparé. Elle est un peu plus difficile aujourd’hui, à cause des espérances contraires qu’on a fait naître. Dans quelque temps, on n’osera plus y songer de peur de l’impopularité qui en résulterait et qui aura grandi en raison de l’ajournement.

Les adversaires de la république prétendent que des trois questions financières et économiques qui sont en ce moment sur le tapis, question de la conversion, question des chemins de fer et des traités de commerce, elle n’en résoudra et n’en pourra résoudre aucune; qu’elle vivra dans un éternel statu quo, ajournant ou prorogeant ce qu’elle ne peut ou n’ose décider en principe. Veut-on absolument leur donner raison? On a déjà commencé à le faire en ajournant la conversion. Espérons pourtant qu’on reconnaîtra l’erreur, et qu’on ne tardera pas à la réparer.


VICTOR BONNET.