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« Comme ce corps d’armée doit être à mes ordres, il est nécessaire pour le succès des opérations que je m’entoure d’officiers instruits et de confiance. C’est à toi, mon cher Gillet, que je m’adresse pour les obtenir du comité de salut public… »


Quelques jours après, il écrit encore au même pour lui signaler l’insuffisance des préparatifs :


« Veut-on continuer la guerre ? Il faut passer le Rhin. Veut-on une paix prompte et avantageuse ? Il faut encore passer le Rhin. Soixante mille hommes sur la rive droite rendront MM. les princes d’Allemagne tellement souples qu’ils passeront par-dessus bien des formalités. Mais comment se fait-il qu’on ne se soit pas occupé plus tôt des moyens de passage ? Il n’est ici pas un bateau, pas un câble de prêt ; on est encore à savoir où l’on prendra le premier de ces agrès ; il nous manque d’ailleurs trois mille chevaux ; d’où les tirer ? Il serait important que tu pusses accompagner Saint-Laurent pour te rendre un instant sur les lieux, afin de graisser les rouages de la machine. Quant à moi, mon cher ami, quant aux chefs et soldats sous mes ordres, nous brûlons de guerroyer au delà du fleuve ; les vainqueurs de Fleurus, un peu calomniés par l’envie, sont jaloux de vous faire connaître qu’ils n’ont point dégénéré et que jamais ils ne démériteront de la patrie…

« Tu sais sans doute combien nous sommes misérables ici avec nos assignats, qui sont conspués. La convention devrait bien nous en dédommager, non pas en augmentant notre solde, mais par un supplément de distributions de pain et de viande, qui sont à peine suffisantes pour nourrir nos domestiques, et en autorisant les commissaires des guerres à nous délivrer de temps en temps quelques veaux ou moutons.

« Je suis, moi, plus particulièrement malheureux, parce qu’il me répugne d’être à charge à des hôtes et que, comme tu sais, je suis accoutumé à vivre avec mon état-major. Je te jure que, si pendant mon séjour à Strasbourg je n’avais point vendu ma pauvre petite maison, je serais à présent aux plus désagréables expédiens. »


Malgré l’activité de Kléber, les préparatifs pour le passage du Rhin n’avançaient pas. Les bateaux étaient introuvables ou les propriétaires en demandaient des prix exorbitans. Irrité de ces obstacles, le comité de salut public envoya Gillet avec pleins pouvoirs pour les aplanir, et comme le passage de l’aile gauche de l’armée constituait la première opération de la campagne, c’est avec Kléber que celui-ci eut à s’entendre pour construire des ponts avant que l’ennemi eût le temps d’élever des ouvrages et d’amener des renforts. On fait venir des bateaux de Hollande et, malgré la crue des eaux du Rhin, on parvient à réunir le matériel nécessaire. Les rapports de Kléber à Jourdan permettent de suivre pour ainsi dire