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tillerie Kléber s’en plaint amèrement au représentant Gillet, avec lequel il avait d’excellentes relations :


« Je jugeais, mon cher ami, par la manière pressante avec laquelle on m’appelait devant Mayence, que tout était prêt et qu’il ne s’agissait plus que d’ouvrir la tranchée. Mais combien je me trompais ! Voilà près de huit jours que je suis ici et il n’y a point encore d’état-major d’artillerie, pas une pièce de siège, et l’on ne sait encore positivement d’où l’on en tirera. Hier seulement a été organisé l’état-major du génie ; la ligne de contrevallation n’est point tirée et il n’existe pas un gabion, ni une fascine. Cependant la saison devient mauvaise et très rigoureuse. Juge, mon cher Gillet, des obstacles que nous avons à vaincre. Ceux-ci ne m’effraient pas encore, et, s’il ne faut que de la constance et de l’audace, je me promets de les surmonter avec le soldat. Mais joins à tout cela que les subsistances nous manquent, que le pain ne se distribue pas régulièrement, et que, malgré le peu de chevaux que nous avons jusqu’ici, on ne délivre aujourd’hui qu’un demi-boisseau d’avoine et dix livres de paille par cheval ; demain de la paille et point d’avoine et après-demain cinq livres de foin, sans paille, ni avoine. Voilà cependant notre situation, et il faut avec cela faire le siège d’une place qui n’est point complètement investie… »


Cependant la température devenait de jour en jour plus rigoureuse, le bos faisait défaut, les bivouacs étaient sans feu et les sentinelles gelaient à leur poste. Dans l’impossibilité de rien entreprendre, Kléber proposa de se borner à contenir l’ennemi dans Mayence et de faire rentrer les troupes dans leurs quartiers d’hiver. Merlin s’y opposa et demanda même qu’on profitât de ce que le Rhin était gelé pour tenter une attaque de vive force ; mais la démoralisation et l’état de délabrement de l’armée le forcèrent à renoncer à un si beau projet. Kléber, souffrant lui-même d’une maladie de peau, demanda un congé pour aller se soigner à Strasbourg ; mais à peine y était-il arrivé qu’il reçut l’ordre de prendre momentanément le commandement en chef de l’armée de Sambre-et-Meuse en remplacement de Jourdan, qui lui-même était tombé malade. Kléber répondit le 17 mars au comité de salut public que sa santé exigeait des soins et qu’il ne pouvait monter à cheval avant quinze jours. Il ajoutait : « Le sentiment de mes forces et mon amour pour la chose publique me font craindre d’accepter un commandement en chef ; mais je ne négligerai rien pour hâter mon retour à l’armée de Sambre-et-Meuse et me mettre en état de reprendre mes premières fonctions. »

En même temps il écrivait à Jourdan :


« Tu vois, mon bon camarade, que j’ai été meilleur prophète que