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justice à Cazalès, c’est un homme plein de talent et d’énergie. — Allons donc, lui répondait Rivarol, un vase à digestion, voilà tout. » — Se retournant ensuite vers Cazalès, Malouet lui disait : « Vous n’appréciez pas convenablement Rivarol, il a quelquefois des traits de génie. Vous ne contesterez pas au moins qu’il a de l’esprit. — Oui, reprenait Cazalès, comme un garçon perruquier. » Tout le dîner se passa ainsi.

Montlosier faillit perdre cependant l’amitié précieuse de Cazalès. Mme de Bonneuil était venue, à travers beaucoup de dangers, le rejoindre à Londres. Elle appartenait à la famille d’Espréménil et était connue intimement de Montlosier. La familiarité établie entre eux porta ombrage à Cazalès ; il le fit sentir à son ami, qui cessa aussitôt de voir Mme de Bonneuil, préférant sauvegarder son amitié. Cazalès, comme nous l’avons dit, avait résolu de rentrer en France. Il écrivit à Fouché, qu’il connaissait. Dès qu’il eut reçu une réponse favorable, il alla en prévenir lord Liverpool, qui l’entretint de son entrée prochaine au ministère. Montlosier, quand il apprit ces détails, témoigna sa surprise à Cazalès de ses relations avec Fouché : « Bah ! lui répondit-il, voilà comme vous êtes, vous autres ! Fouché est aujourd’hui le seul homme en France. On ne peut plus rien faire qu’avec lui et par lui. » Cazalès était décidément bien dégrisé. Mallet Du Pan, qui se défiait plus que jamais de Bonaparte, mourait au contraire de consomption et de travail à Richmond, dans les bras de Lally.

Chateaubriand, voyant sa petite société se dissoudre, obtenait un passeport du ministre de Prusse, sous le nom de Lassagne, habitant de Neufchâtel, et accompagnait Mme d’Aguesseau. Il avait voulu, avant de quitter l’Angleterre, voir George III et avait obtenu, pour quelques shillings, du concierge de Windsor qu’il le cachât quand le roi passerait. « Le monarque en cheveux blancs et aveugle parut, errant comme le roi Lear dans ses palais et tâtonnant avec ses mains les murs des salles. Il s’assit devant un piano dont il connaissait la place et joua quelques morceaux d’une sonate de Haendel. »

Les évêques émigrés étaient divisés sur la soumission au gouvernement consulaire. On n’a qu’à consulter les Mémoires de l’abbé Grégoire. Lally adressa au Courrier de Londres sur cette question quatre lettres dans lesquelles on rencontre des indications utiles à recueillir.

Montlosier, qui avait vu de près tout le haut clergé, ne gardait pas une opinion favorable de l’évêque de Saint-Pol-de-Léon, qui, au milieu de ses dépêches aux chouans, s’interrompait pour lire son bréviaire ; ni de l’archevêque de Narbonne, qui avait une telle