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VII.

Un changement venait encore de s’opérer en France. Bonaparte était devenu premier consul. La guerre à outrance amenait le despotisme militaire et la défiance de la liberté. Encore une fois le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire allaient être absorbés par l’exécutif. Pitt était à bout de forces ; son pays, après avoir traversé la crise monétaire et les révoltes de la flotte à Portsmouth et à Sheerness, finissait par rester seul dans la lutte. La victoire de Marengo et le traité de Lunéville laissaient en effet l’Angleterre sans un allié de quelque importance sur le continent européen. Après dix-sept ans de ministère, Pitt songeait à se retirer. La haute émigration, de son côté, voyant le despotisme s’établir en France, était désireuse de rentrer et de revendiquer ses biens confisqués.

Déjà, pendant le directoire, lorsqu’on avait cru apercevoir quelque adoucissement dans les mesures de rigueur contre les émigrés, plusieurs d’entre eux avaient cherché à négocier leur rapatriement. Malouet avait engagé ceux auxquels il s’intéressait et qui pouvaient compter sur des protections à faire des démarches. C’était difficile des deux côtés. À Londres, on cherchait à rendre suspects au gouvernement les émigrés qui demandaient des passeports ; la secrétairerie d’état n’en accordait que sur la demande de l’évêque d’Arras, accrédité comme ministre des princes. Malouet raconte que MM. de La Tour du Pin et Gilbert des Voisins, ayant demandé leurs passeports au ministère anglais, furent renvoyés à l’évêque d’Arras. Comme ils ne le connaissaient pas, ils s’adressèrent à Malouet. Il alla avec eux trouver l’évêque, et lui dit que ces messieurs, qui voulaient quitter Londres, avaient été étonnés d’apprendre que son consentement était nécessaire. L’évêque, sentant bien que ces prétentions ne pouvaient se soutenir, déclama contre le découragement des émigrés qui n’avaient pas la patience d’attendre la contre-révolution. « Quelle différence de rentrer dans votre pays en proscrits ou d’y rentrer triomphans ! Vous, monsieur de Gilbert, vous renoncez donc à occuper au parlement la charge de monsieur votre père ? car ce n’est pas d’un émigré apostat qu’on fera jamais un président à moutier. »

Qu’on lise dans les Mémoires de Malouet cette conversation, et l’on verra quels étaient, même en 1800, les projets, les combinaisons de ceux qui attaquaient avec acharnement les constitutionnels.

Mallet Du Pan vivait en Angleterre depuis 1799, il avait fondé le Mercure britannique ; il comprit que ses amis eux-mêmes étaient las de l’exil. Si longtemps d’accord avec eux sur l’appréciation