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propagande des idées étant une des conditions de stabilité pour les résultats sociaux de la révolution, l’Angleterre ne pouvait désarmer, et son commerce, dans l’état où se trouvait le continent, ne pouvait compter sur une extension.

— « À merveille, dit l’évêque d’Arras ; j’ai rencontré l’autre jour Cazalès. Au lieu de me donner des raisons, il m’a lancé des injures. — Cazalès était un homme de premier ordre. Ni l’émigration, ni les conseillers des princes n’avaient su ni l’apprécier ni l’employer. — Laissons là Cazalès, reprit l’évêque d’Arras ; faites-moi le plaisir de mettre par écrit ce que vous venez de me dire, afin que je le présente à M. le comte d’Artois. Je pense aussi que vous voudrez bien en insérer quelque chose dans le Courtier de Londres. »

Le lendemain Montlosier envoya la note qui lui était demandée et inséra dans son journal un article qui la reproduisait en partie. Nous savons que les propositions de paix n’aboutirent pas. La perspicacité dont le Courrier de Londres avait fait preuve avait valu pour quelques jours à Montlosier des faveurs. À la suite d’une opération douloureuse, ses amis avaient été inquiets de sa santé. Le comte d’Artois envoya savoir de ses nouvelles. Après sa convalescence, Montlosier fit demander la permission d’aller lui porter ses remercîmens. Admis à une audience, avec beaucoup d’autres Français, il reçut du comte d’Artois cette apostrophe : « Eh bien ! monsieur de Montlosier, votre journal ? il y a quelquefois bien des sottises. » Montlosier n’était jamais à court de riposte : « Monseigneur, j’en entends si souvent qu’il est bien possible qu’il m’en échappe aussi quelqu’une. » Ils ne se revirent plus. Du reste le Courrier de Londres, à propos d’une motion du général Fitz-Patrick au parlement, s’étant montré favorable à la mise en liberté de La Fayette, il n’en avait pas fallu davantage pour réveiller toutes les vieilles rancunes du monde qui entourait les princes.

Résolu de plus en plus à vivre loin des coteries, Montlosier donnait au travail toute sa journée. Quand le Courrier de Londres ne suffisait pas, il écrivait son livre des Mystères de la vie humaine. Imagination étrange et mêlée d’élémens disparates, ayant immensément lu sans avoir mis de méthode dans ses lectures, Montlosier étudiait avec passion le magnétisme animal. Il se hasardait de causer du mesmerisme avec ses amis ; mais il n’y avait guère que Malouet qui eût la bonté de l’écouter sérieusement. Son originalité le faisait fort rechercher. La majeure partie de ses soirées se passait chez la princesse d’Hénin avec Lally, mais il s’était créé des amitiés nouvelles et en première ligne avec Chateaubriand. Lorsqu’il publia son Essai sur les révolutions, Montlosier s’empressa d’en rendre compte. Il le fit avec bienveillance et justice. Une visite de remercîment les lia, et ils se retrouvèrent chez Mme Lindsay.