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Un fait qui ne peut s’expliquer autrement, c’est que depuis longtemps, en France, les petites propriétés foncières ont une valeur vénale relativement supérieure à la valeur des grandes, en sorte que la façon la plus lucrative de vendre les grands domaines, c’est de les couper et fractionner en parcelles que se disputent les paysans. Plusieurs faits nouveaux témoignent visiblement dans le même sens. Il n’est pas besoin d’être bien au courant des conditions actuelles de l’agriculture française, pour savoir combien, depuis un certain nombre d’années, elles semblent devenir de moins en moins favorables à la grande propriété. C’est sur celle-ci que retombent surtout le renchérissement de la main-d’œuvre et les frais de culture qui s’élèvent sans cesse alors que, grâce à la concurrence des pays neufs des deux mondes, le prix des principales denrées agricoles, des céréales au moins, reste stationnaire[1]. Le loyer des terres devient pour cette raison de plus en plus difficile ; les baux, qui jadis suivaient une progression régulièrement ascendante, ont pour la plupart cessé de monter ou commencent à baisser déjà ; en beaucoup de régions, le fermage semble entrer dans une période de décadence. Plus nous allons et plus augmente le nombre des terres qui paraissent ne pouvoir être cultivées avec profit que par celui qui les possède et qui, pour les mettre en valeur, n’emploie que ses bras et ceux de sa famille.

Grâce aux relations internationales et à l’élargissement des moyens de production, les faits les plus récens ont pour longtemps démenti la fameuse et sinistre théorie de Riccardo, de Mill et des économistes anglais sur la rente de la terre. Inventée pour un marché restreint où la production des denrées alimentaires ne pourrait augmenter aussi vite que les besoins d’une population toujours croissante, cette théorie, reprise par les socialistes, se trouve radicalement fausse pour un marché ouvert et international. Tant qu’il restera dans l’un ou l’autre hémisphère de vastes surfaces de terres fertiles et désertes ou faiblement peuplées, tant qu’il y aura des pays comme les deux Amériques, l’Australie ou la Russie, produisant bien au de la de leurs besoins de consommation, la rente de la terre ne pourra reprendre sa marche ascendante du commencement, du siècle. Pour la lui rendre, il faudrait relever artificiellement autour de nos frontières toutes les vieilles barrières fiscales ; un protectionnisme agricole allant presque jusqu’au

  1. D’après les calculs de M. de Foville (Économiste français, année 1876), le salaire d’une journée d’homme dans les campagnes, qui en moyenne n’était vers 1840 que de 1 fr. 30 cent, et vers 1852 de 1 fr. 42 cent., était déjà en 1875 de 2 francs.