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la garantie d’une administration financière plus correcte à l’avenir, plus fidèle à ses engagemens. Ismaïl-Pacha, ce khédive scrupuleux qui il y a peu de temps encore faisait fort bon marché des intérêts de ses créanciers, Ismaïl-Pacha s’est offensé tout à coup ; il a prétendu qu’on le déshonorait en avouant sa déconfiture, qu’on méconnaissait les ressources du pays aussi bien que les intentions de son gouvernement, que l’Égypte était parfaitement en état de payer ses dettes, toutes ses dettes, sans demander merci. Il a joué la comédie de l’homme qui tient à ne pas nier ses dettes, même en ne les payant pas. Il ne demande qu’une chose, c’est qu’on le laisse administrer librement et honnêtement, comme il l’a déjà fait, — moyennant quoi les créanciers seront payés comme ils l’ont été jusqu’ici ! Le khédive a du moins réussi, avec cette comédie, à se délivrer provisoirement des agens européens.

Que va-t-on faire maintenant, après cette déconvenue infligée à deux grands gouvernemens par un petit prince ? Cette crise égyptienne a visiblement causé une désagréable surprise à Paris et à Londres ; elle a quelque peu indigné au premier moment, et elle est certainement encore un ennui. La France et l’Angleterre, après s’être engagées ensemble dans cette affaire, ne se sépareront pas sans doute dans les mesures qu’elles ont à prendre pour leur dignité comme pour leurs intérêts. Elles resteront alliées, c’est la meilleure politique qu’elles aient à suivre ; mais que peut-on faire réellement ? Une action coercitive conduisant à une sorte de prise de possession ou d’occupation plus ou moins temporaire de l’Égypte dépasserait sans nul doute les intentions des deux grandes puissances offensées ; elle risquerait de diviser les deux alliées, elle serait le prélude d’un nouvel inconnu, et elle ferait peut-être beau jeu à ce khédive embarrassé de sa victoire en lui ménageant des appuis, en excitant des ombrages dans d’autres pays. Est-ce à dire que le khédive soit à l’abri de tout châtiment ? Ismaïl-Pacha a été peut-être bien imprévoyant dans sa brutalité, d’autant plus qu’il n’a la vice-royauté que par une dérogation de la loi musulmane, qu’il y a auprès de lui dans Halim-Pacha un prétendant, un héritier plus légitime de la couronne de Méhémet-Ali, toujours selon la vieille loi musulmane, et que la Porte pourrait bien, saisir l’occasion de faire acte de souveraineté en déposant un prince compromettant pour l’Égypte. Ismaïl-Pacha n’a pas calculé qu’en évinçant par un procédé de sérail des influences européennes qui étaient sa meilleure protection il s’affaiblissait lui-même vis-à-vis de la Porte, vis-à-vis de ses ennemis, qu’il ne tromperait personne avec ses mémoires justificatifs et qu’il se créait une situation sans issue. Quant à la France et à l’Angleterre, elles sauront bien sûrement dans tous les cas mettre à la raison le petit autocrate égyptien ; elles sauront bien sauvegarder leurs intérêts et leur dignité, sans dépasser la mesure, sans se jeter dans une aventure ; nouvelle, sans risquer en un mot de rouvrir à Alexandrie