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la culture à autrui, beaucoup même ne possèdent qu’une maisonnette avec un petit jardin. Mais, quand la propriété de plusieurs millions de Français se réduirait à une maison avec un jardin, cela seul serait un avantage immense pour le peuple et le pays. Dans les états à population dense, et en grande partie industrielle et urbaine comme nos états de l’Occident, l’on pourrait peut-être dire qu’une habitation avec un petit jardin constitue la propriété normale, s’il est permis d’accepter un terme aussi vague et arbitraire, la seule propriété que l’on puisse espérer voir aux mains du plus grand nombre. Ce n’est pourtant point aujourd’hui la seule du paysan français.

Il faut d’abord penser qu’en France, avec la culture de la vigne par exemple ou avec la culture maraîchère, une famille peut souvent trouver sa subsistance sur un lot de terre qui serait manifestement insuffisant dans les vastes plaines du nord. Aussi, quand on estime le nombre des propriétaires indépendans à une sorte d’oligarchie bourgeoise de cinq cent mille familles, on joue manifestement avec les chiffres ou l’on ignore toutes les conditions de la vie rurale chez nous. Pour approcher de la vérité, qu’en pareille matière l’on ne saurait se flatter d’atteindre, il faudrait, croyons-nous, au moins quadrupler ou quintupler ce chiffre[1]. Deux millions de propriétaires ruraux indépendans vivant sur leur propre sol, un million de fermiers ou de métayers et deux millions de serviteurs à gages, pour la plupart, comme les fermiers ou métayers, propriétaires eux-mêmes ; telle semble encore en gros, ainsi que l’estimait naguère M. de Lavergne, la répartition de notre population rurale.

  1. D’après les documens officiels (Statistique de la France : Résultats généraux du dénombrement de 1862), il y avait 3,799,000 propriétaires fonciers dont 3,740,000 cultivateurs. Sur ce nombro, 1,751,000, soit près de la moitié, ne cultivaient que leurs propres terres, 850,000 affermaient en outre des terres d’autrui et 1,134,000 seulement, soit beaucoup moins du tiers, travaillaient aussi comme ouvriers à gages. D’après les documens les plus récens (Statistique de la France : Résultats généraux du dénombrement de 1876. Paris, 1878), la population agricole totale s’élevait à 18,968,000 individus se répartissant ainsi :
    1° Propriétaires cultivant eux-mêmes leurs terres, 10,620,000 soit 56 p. cent.
    2° Fermiers, colons et métayers, 5,708,000 soit 30 —
    3° Professions agricoles diverses (vignerons, bûcherons, maraîchers, etc.) 2,639,000 soit 13 —


    Pour la population agricole active, le même recensement de 1876 inscrit 3,905,000 patrons ou chefs d’emplois, 136,000 employés, 967,000 ouvriers et 1,626,000 journaliers des deux sexes, ce qui d’après la statistique officielle donne près de 59 pour cent de patrons contre 2 et demi pour cent d’employés et seulement, 39 pour cent de salariés, ouvriers ou journaliers. Il est vrai que cette proportion ne nous parait pas exacte parce qu’on l’a établie en dehors des domestiques des deux sexes (1,325,000) compris dans la population agricole inactive.