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modérés, à ménager les radicaux, à passer ses caprices au conseil municipal de Paris, à désorganiser la préfecture de police ou d’autres institutions et à faire la guerre aux frères des écoles chrétiennes.

Une fois sur ce chemin, on se réveille un beau jour en présence de la candidature de M. Blanqui à Bordeaux ! Ce n’est point assurément que ce vieillard plus que septuagénaire, qui a toujours conspiré contre tout, même contre la république, et qui a passé la plus grande partie de sa vie dans les prisons sous tous les régimes, soit bien dangereux ; mais il est bien clair que cette candidature est le signe d’une situation troublée, qu’elle est une protestation révolutionnaire contre l’autorité des lois, contre l’inégibilité du condamné, — et il est plus clair encore qu’elle est une manifestation du radicalisme réclamant sa place, mettant ses arrière-pensées dans un nom. Quand M. Blanqui aura été élu, on nommera d’autres condamnés de la commune illustrés par leurs exploits ; on voudra les envoyer à la chambre pour représenter la vraie république, pour stimuler l’opportunisme. Ceux-là aussi seront-ils de la majorité, de cette majorité qu’on tient à ne pas diviser, dont on prétend n’exclure que les modérés, le centre gauche ? La politique de M. Blanqui et des autres héros de la « proscription » rentrera-t-elle dans le programme de la république, dans le cadre des applications légitimes de la constitution ? Eh bien, c’est là précisément la question dont nous parlions, qui se relève au bout de tout et que les vacances laissent aux sénateurs, aux députés, à tous ceux qui ont le souci d’un avenir prochain le temps de méditer. Continuera-t-on à s’avancer dans cette voie sans direction et sans prévoyance, sans se rendre bien compte des dangers qu’on se crée et qu’on semble se plaire à multiplier ? Le moment n’est-il pas venu de s’arrêter, de s’interroger sans faiblesse, sans illusion, sans infatuation vulgaire sur ce qui a été fait, sur ce qui reste à faire ?

Il faut choisir entre la république libéralement conservatrice, parlementaire, la république de tout le monde, telle que la constitution de 1875 l’a faite, et la république semi-jacobine des réhabilitations révolutionnaires, des réminiscences conventionnelles, des épurations à outrance. Il faut choisir entre la politique qui s’occupe sérieusement des affaires sérieuses du pays et la politique qui vit de conflits, d’agitations factices, de vulgaires compétitions propres à rendre tout impossible. C’est certainement le premier intérêt de la république de se dégager de ces alternatives, de cette situation confuse, et surtout d’éviter de se réduire aux proportions d’un régime de parti ou de secte. Un homme d’un mérite éminent, un vieux républicain, M. Littré, écrivait récemment, sous un titre presque naïf, quelques pages où il étudiait ce problème : Par quelle conduite la république française peut-elle consolider le succès qu’elle a obtenu ? Eh ! mon Dieu, le secret est peut-être bien simple. Les succès se consolident par les moyens qui les ont préparés et assurés. Les fortunes faites par l’économie et par le travail ne se