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difficulté en s’emparant des enfans noirs des tribus vaincues, et en les dressant graduellement à la servitude sous le nom d’apprentis agriculteurs. Le fouet que les matrones boers de l’état d’Orange montrent ou cachent selon que l’autorité anglaise se rapproche ou s’éloigne de leur territoire dit avec assez d’évidence que cet apprentissage prétendu n’est que l’esclavage déguisé.

Le second point de dissentiment importait davantage encore à l’avenir de la colonie. Quelle règle de conduite convenait-il d’observer envers les indigènes ? L’autorité anglaise recommandait d’agir autant que possible à leur égard avec modération, justice et bonne foi, et de n’exercer contre eux d’autres rigueurs que nécessaires ; mais les boers, sur qui ne pesait aucune responsabilité directe, qui n’avaient pas à répondre de leurs faits et gestes à un gouvernement jaloux d’être obéi et peu soucieux d’être compromis, qui ne sentaient pas sur eux la pression d’un parti de philanthropes disposant d’une chambre des communes facile à l’inquiétude et d’une presse facile à l’indignation, admettaient en toute candeur que l’intérêt des colons était la seule mesure de la justice qui était due aux indigènes. Le blanc avait-il besoin des terres de l’indigène, il avait droit de les prendre sans compensation. L’indigène se plaignait-il, il devait être repoussé comme un animal importun ; se révoltait-il, il devait être tué comme une bête malfaisante ; se résignait-il, le travail devait lui être imposé comme un devoir au profit de l’agriculteur sans autre rémunération que celle due à l’esclave. Tout brutal et inhumain que fût le raisonnement des boers, il n’en reposait pas moins sur un fait évident, c’est que dans une colonie fondée en pays sauvage comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique méridionale, l’occupation des terres par les immigrans est de toute nécessité, sans quoi la colonie n’a plus d’objet ; mais l’Angleterre pensait justement que cette spoliation inévitable devait être proportionnée au nombre des colons à pourvoir, et qu’il était immoral de l’exercer dans le seul dessein d’accroître démesurément les domaines de colons déjà pourvus. Le gouvernement anglais recommandait donc les voies légitimes d’acquisition ; mais il n’était pas toujours facile de reconnaître où étaient les légitimes vendeurs. Un chef vendait un territoire qui ne lui appartenait pas ou sur lequel d’autres tribus pouvaient réclamer des droits. Les tribus se faisaient incessamment la guerre ; l’une d’elles était vaincue, et son territoire devenait la propriété du vainqueur, qui le vendait aux blancs ; mais les vaincus reprenaient force, détruisaient à leur tour leurs oppresseurs, et venaient réclamer comme leur appartenant le territoire vendu ; les blancs étaient-ils obligés à restitution ? C’est précisément un fait de ce genre qui, il y a quelques années, engendra la révolte d’un chef nommé Secocoéni, et contribua pour une part à hâter la chute de