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Européens dont les descendans composent aujourd’hui la très grande majorité de la population blanche. Le fond de cette population est hollandais, la physionomie des colonies, sauf dans Natal et dans la partie est de l’état du Cap, est hollandaise, les créations de toutes ces colonies, sans exception, sont œuvres hollandaises, et plusieurs de ces œuvres ont eu pour origine une antipathie invincible pour les idées du peuple anglais et une impatience irréfrénable de son autorité. De tels antagonismes ne seraient en aucune circonstance pour rendre la tâche d’un gouvernement facile ; dans l’Afrique australe ils créent cette situation paradoxale, que l’Angleterre, par souci de sa sécurité, est sans cesse amenée à annexer à ses possessions quelque nouveau territoire, et qu’à chaque fois c’est une nouvelle quantité d’ennemis noirs et blancs qu’elle s’annexe, en sorte qu’elle ne se délivre de ses embarras présens qu’en augmentant le nombre de ses embarras futurs, et que sa sécurité est minée par les mesures mêmes qu’elle prend pour l’assurer.

Si ce tableau sommaire est exact, il montre clairement qu’au bout de trois quarts de siècle le rôle de l’Angleterre dans l’Afrique méridionale est encore plus politique que social. Elle y gouverne une population dont les deux élémens principaux n’ont pas été pris dans son propre sein et dont l’originalité résistante n’a pu être sérieusement altérée jusqu’ici par l’action des mœurs anglaises et les insuffisantes infiltrations de sang britannique qui se sont mêlées à ce fonds premier. Le vaisseau est de construction anglaise et pavoisé aux couleurs d’Angleterre, mais les passagers sont Hollandais et les gens de l’équipage Cafres, Zoulous ou Hottentots.

D’ordinaire, lorsque deux populations, l’une sauvage, l’autre civilisée, se trouvent en présence, c’est la sauvage qui de beaucoup est la plus curieuse pour l’observateur ; l’Afrique australe toutefois constitue une notable exception à cet égard, car la population blanche n’y cède pas en singularité à la race indigène. On comprendra qu’il n’y ait guère de population plus originale dans le monde actuel que celle des boers (les fermiers, les agriculteurs), descendans des anciens colons hollandais, si nous disons qu’il n’en est aucune aujourd’hui, — sauf peut-être celle de quelques parties de notre Bretagne ou des provinces basques, — qui représente avec plus de pureté une population de l’ancien régime. Le boer de 1878 est resté ce qu’il était en l’an 1700, un Hollandais à l’ancienne mode qui serait un véritable revenant s’il lui était donné d’apparaître une heure dans sa patrie d’origine. Ce type du conservateur d’autrefois, que nous n’avons plus guère l’occasion de connaître dans notre Europe renouvelée où les conservateurs de date récente diffèrent si peu des libéraux des périodes précédentes, l’Afrique méridionale seule peut-être le possède sans altération, et