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sont encore une prise de possession du désert au profit de la civilisation, qui trouve sa justification dans une disproportion irrationnelle entre les étendues des territoires et des chiffres des populations indigènes ; mais ici, au lieu des misérables bandes errantes des natifs australiens, des trois cent mille Indiens disséminés sur la surface de l’Union américaine, ou de la poignée valeureuse des cinquante mille Maoris de la Nouvelle-Zélande, les Anglais se trouvent en présence d’une population d’indigènes qui se compte par plusieurs millions. Cette population ne recule pas devant la race blanche et ne s’en tient pas séparée, comme l’aborigène australien, le Maori ou l’Indien d’Amérique, par implacable aversion ou impuissance à s’assimiler à ses usages ; consultez les tables des derniers recensemens, elles vous montreront la population blanche en minorité effrayante, entourée et comme enlisée par les multitudes noires. Dans la colonie du Cap, on compte 820,000 indigènes contre 235,000 blancs. Dans Natal et le Transvaal, la disproportion est encore bien plus forte : 320,000 noirs contre 20,000 blancs pour la première de ces colonies, 250,000 noirs contre 40,000 blancs pour la seconde. Le seul établissement européen où l’élément natif soit en minorité est l’état libre d’Orange, 30,000 blancs contre 15,000 noirs. Le désavantage qui résulte de cette disproportion numérique pour la race blanche s’accroît encore par les aptitudes particulières de ces indigènes qui, aidés par le climat, excluent les Européens de la plupart des travaux des colonies. L’Afrique australe n’est pas un pays où les prolétaires européens puissent aller chercher fortune et où les miracles de d’Australie puissent jamais se renouveler. Aux champs de diamans, 3,0,000 Cafres, Boschimans ou Basoutos, exécutent l’excédant travail des mines sous les yeux de 15,000 blancs, parmi lesquels on compte à peine quelques ouvriers, et qui sont pour la plupart employés aux services des compagnies, trafiquans ou cabaretiers. Dans Natal et dans le Transvaal, dans Natal surtout, tout ce qu’il y a de travailleurs, soit comme domestiques, soit comme journaliers ou valets de ferme, soit même comme gens de métiers, maçons, charpentiers, forgerons, est Cafre ou Zoulou. Aux Européens qui ne sont ni possesseurs de fermes, ni employés de l’état, il ne reste guère que la ressource du commerce dans les villes, ce qui équivaut à dire que l’Afrique du sud convient mieux aux colons qui ont un capital médiocre à faire fructifier qu’à ceux qui ne peuvent demander fortune qu’à leurs bras. Ce sont là des conditions fort défavorables ; il en est cependant d’autres peut-être plus insurmontables encore. Les noirs ne sont pas les seuls natifs, ni les Anglais les seuls hommes de race blanche qui aient posé le pied sur la terre africaine. Ils avaient été précédés par d’autres