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et retombait carrément sur le dos jusqu’aux talons. Leurs robes, de couleur vive, rouges pour la plupart, avec le corsage fait en forme de péplum antique, étaient assez longues pour traîner un peu à terre ; une quantité innombrable de bijoux d’argent et de corail ornait leur personne. Des chaînes pendantes étaient accrochées au turban au moyen de grandes épingles en forme de main ; au cou, plusieurs plaques et plusieurs colliers étaient superposés les uns sur les autres ; sur les épaules, des broches retenaient le péplum ; à la ceinture, également en métal ciselé, de longues chaînes soutenaient des cassolettes grandes comme des tabatières et des étuis à couteaux, d’un travail curieux, qui retombaient jusqu’à leurs genoux. C’est une véritable gloire pour ces femmes d’être chargées de bijoux qui attestent leur succès.

La tribu des Ouled-Nayls passe pour être très insouciante : elle vit dans le désert au sud-ouest de Biskra. Les hommes cultivent la terre. Ils ont la réputation de rire et de chanter plus souvent que les autres Arabes. De tout temps ils ont envoyé leurs filles à Biskra en leur enjoignant de gagner une dot et de venir ensuite se marier dans la tribu, chose singulière pour des musulmans qui tiennent tant, en général, à la vertu des femmes qu’ils épousent. De plein gré ils manquent ainsi à la lettre du Koran, qui met des restrictions positives à certaines libertés.

Lorsque nous fûmes tous assis, un agent de police arabe, sous la garde duquel on avait placé les danseuses, désigna deux d’entre elles pour commencer ; ce n’étaient ni les plus jeunes, ni les plus belles. Au même moment la musique se mit à jouer. Elle était composée d’une flûte, d’un tambour de basque et d’une autre sorte de tambour. Les tambours frappaient la mesure à trois temps, une noire d’abord, très accentuée, puis deux croches et une noire légère, pendant que la flûte murmurait une phrase aiguë de six notes, Le rythme, toujours le même, finit par ébranler les nerfs. Eugène Fromentin, si bon juge en toutes choses de l’Algérie, dit, dans un de ses charmans ouvrages, que la danse des Ouled-Nayls n’a aucune des significations de la danse des almées d’Égypte. Il a lu dans chacun de leurs gestes une tendresse contenue et une passion pure. Pour ma part, je dois dire que j’ai trouvé le spectacle curieux, mais la danse ne m’a semblé en elle-même ni gracieuse, ni intéressante. L’agent de police était là pour faire reposer la danseuse qui commençait à tomber en pâmoison, et la remplacer par une autre plus calme. La danseuse débute par une marche autour de la chambre en glissant la pointe de ses pieds nus sur le tapis, puis après quelques minutes de cet exercice tranquille, elle se renverse en arrière, se pliant de façon à faire presque toucher sa tête sur ses talons,