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porte, suivant quelques maigres chèvres à longs poils. On se demande où elles peuvent trouver l’herbe nécessaire à leur nourriture, mais derrière une anfractuosité du sol coule sans doute une jolie source qui fait verdir ses bords.

Après avoir donné deux heures de repos nécessaire aux chevaux, nous remontons dans notre voiture et nous reprenons, on ne peut dire la route, mais plutôt la direction d’El-Kantara, qui doit être notre abri pendant la nuit et notre dernière étape avant Biskra.

En traversant la vallée qui nous sépare des premiers contreforts de la chaîne des Aurès, nous voyons passer quelques mulets chargés de leurs tellis ou sacs de laine. Les Arabes qui les conduisent regardent la voiture, puis nous les entendons pousser des cris de joie ; ils ont reconnu dans un de nos compagnons un officier avec lequel ils avaient fait, quelques mois auparavant, une expédition militaire en qualité de muletiers. La voiture s’arrête, et ils s’approchent, la figure épanouie, les yeux limpides et brillans et la bouche entr’ouverte par un franc sourire qui laisse voir deux rangées égales de belles dents blanches. Le commandant donne une cordiale étreinte à leurs mains brunes, et la voiture se remet en marche. Nous traversons ensuite, dans un imposant silence, un défilé de montagnes hautes, arides et découpées. C’est l’heure où tout dort parmi les hommes comme dans la nature. Les caravanes qui sillonnent habituellement ces passages se retirent, à cette heure brûlante, dans des plis de terrain où elles ont une faible chance de rencontrer un peu d’ombre. Nous continuons à avancer durant deux heures sous un soleil qui nous frappe d’aplomb, sans entendre aucun autre bruit que celui que produisent nos chevaux, et sans apercevoir un être animé. Si un lion s’était levé à notre approche, se glissant le long des montagnes qui sont de la couleur de son poil fauve, nous n’en aurions pas été surpris, tant le paysage semblait fait pour contenir un pareil hôte. Nous passons successivement des ravins, des torrens pierreux et desséchés, toujours suivant une sorte de sillon tracé par une rivière, l’Oued-Biskra, qui roule, dit-on, durant l’hiver, dans son large lit, une eau grise et bourbeuse. Lorsque la vallée s’élargit, on la voit traversée par les barancas ou ravines creusées par la pluie dans une veine de terre, meuble. Il est impossible de les apercevoir de loin, leurs bords étant parfaitement perpendiculaires, mais il est souvent permis de les deviner, grâce aux verts tamaris qui recherchent leur fraîcheur et forment comme une bande de feuillages légers. Il arrive souvent qu’un Arabe, lancé au galop, se voit tout à coup précipité avec son cheval dans ce fossé profond dont il ne connaissait pas l’existence. Les gorges resserrées qui nous annoncent que nous approchons d’El-Kantara tiennent comme enfermé dans leurs parois