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Société patronne sont pourvus par elle d’un trousseau qui reste au siège de la Société, rue de Mézières, 9, et munis d’un livret d’apprenti. Tous les dimanches matins ces enfans viennent apporter leur livret, et les notes de leur patron. On leur fournit les effets de rechange dont ils ont besoin, et on leur fait quelques heures de classe. Le reste de la journée se passe en jeux. Il est curieux d’étudier pendant la classe ou pendant l’instruction familière qu’on leur adresse la figure de tous ces gavroches repentis. On y retrouve tous les types d’enfant, depuis le grand garçon de quinze ans, épais et inintelligent, qui sait à peine lire, jusqu’à l’enfant aux grands yeux noirs éclairant un visage pâle qui, revêtu d’un costume de velours, ferait dans un salon le légitime orgueil d’une mère. Quelques-uns ont l’air posé et réfléchi : ce sont déjà de petits hommes auxquels a profité la rude expérience de la vie ; d’autres ont conservé leur air et leur accent gouailleur, et il ne faudrait pas les induire en tentation de vous dire quelque impertinence. Mais des résultats que produit ce système du patronage fortifié par la menace de la réintégration, on pourra juger par les chiffres suivans : sur deux cent trente-cinq enfans patronnés pendant l’année 1878, cent soixante-sept ont mené une conduite très bonne, bonne ou assez bonne, vingt-sept une conduite médiocre ou mauvaise ; vingt-sept seulement ont dû être réintégrés ; les autres ont renoncé au patronage ou sont morts. Si on compare ces chiffres à la proportion de la récidive parmi les jeunes détenus du département de la Seine avant la fondation de la Société, on voit quel est le progrès obtenu, et je suis heureux que la dernière œuvre dont j’aie à parler permette ainsi de mesurer le bien que peut réaliser le dévoûment persévérant de quelques hommes de cœur[1].


V

Arrivé au terme de cette longue série d’études, je crois pouvoir dire que je n’ai laissé de côté aucune des misères physiques et morales auxquelles sont exposées sur le pavé de Paris l’enfance et la jeunesse. Le reproche que j’ai à me faire est plutôt d’avoir dépassé le cadre du tableau que je m’étais proposé de tracer et d’avoir soulevé plus souvent qu’il n’était nécessaire le voile qui dérobe à nos yeux distraits le spectacle de certaines souffrances et de certaines ignominies. Je ne crois pas qu’il soit possible à quiconque soulèvera comme moi ce voile d’échapper à la tristesse de réflexions peu riantes sur la destinée humaine. Oui, quoi qu’on en

  1. Une société a été récemment fondée sous le patronage de M. Félix Voisin, ancien préfet de police, pour favoriser l’engagement des jeunes détenus dans l’armée. L’idée est bonne ; mais la fondation de la société est trop récente pour qu’en puisse déjà juger des résultats obtenus.