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rapprochemens fâcheux. C’est ainsi que la maison centrale où nous allons pénétrer tout à l’heure renferme une femme condamnée aux travaux-forcés à perpétuité pour avoir, de complicité avec son père, donné successivement la mort à cinq enfans incestueux, et la veuve d’un ancien officier supérieur condamnée à l’emprisonnement pour des escroqueries dont le but était de lui permettre de faire mener à sa fille un train de vie au-dessus de sa fortune, et c’est pur hasard si ces deux femmes ne se trouvent pas côte à côte à l’atelier.

Il ne faut pas toutefois s’exagérer les inconvéniens de ce mélange des trois catégories au point de vue moral. C’est une vérité bien connue de tous ceux qui ont étudié la vie intérieure des prisons, qu’il ne faut pas s’attacher à la gravité de la condamnation intervenue pour juger de la perversité morale d’un détenu. Sans parler des antécédens dont il faut toujours tenir compte, il arrive très souvent qu’un homme ou une femme qui aura été entraîné une fois dans sa vie à commettre un grand crime est un sujet beaucoup plus susceptible d’amendement que celui ou celle qui aura traîné, récidiviste incorrigible, de prison en prison, sans qu’aucune pénalité ait jamais eu la moindre efficacité sur lui. Ce n’est pas là une supposition théorique qui ne repose sur aucune donnée certaine. Si l’on recherche en effet dans les maisons centrales quelle est la catégorie de détenus qui compte le plus grand nombre de récidivistes, c’est toujours la catégorie des correctionnels. Cela est vrai surtout dans les maisons centrales de femmes où la proportion des récidivistes parmi les correctionnelles est de 70 pour 100, tandis qu’elle n’est que de 11 pour 100 parmi les réclusionnaires et les condamnées aux travaux. Mais malgré ces considérations qui expliquent, sans les justifier complètement, les pratiques très anciennes de l’administration pénitentiaire, je crois qu’il n’en faudrait pas moins créer dans les établissemens affectés aux femmes la distinction entre les maisons de correction et les maisons de force, en recevant également dans les maisons de force les femmes condamnées aux travaux forcés, qui sont les moins nombreuses, et qu’on séparerait des réclusionnaires. Il faut tendre avec persévérance à ce résultat, dût-on, pour y parvenir, augmenter un peu la dépense des transféremens, et cela pour deux raisons. D’abord par respect de la loi, ensuite parce que ce premier triage permettra plus facilement d’introduire dans chacune de ces maisons la seule classification qui au point de vue pénitentiaire ait quelque valeur, celle établie sur la triple base de l’âge, des antécédens, et de la conduite dans l’intérieur même de la maison. En l’absence d’une législation organique sur le mode d’exécution des longues peines, il y aurait là un remède à la déplorable promiscuité de nos maisons