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la plus difficile à tenir. Parfois, par un jour de beau soleil, un vent de révolte semble souffler sur toutes ces jeunes têtes. Le travail incessant auquel on les astreint comme au plus puissant des remèdes contre les souvenirs et les rêves cesse tout à coup de leur paraître supportable, les exercices religieux les rebutent, la discipline leur pèse. Puis toute cette fermentation tombe comme par enchantement ; le calme renaît, et elles se mettent à chanter des cantiques avec zèle. C’est aussi la classe où l’on reste le moins longtemps et où les visages nouveaux se succèdent le plus rapidement. Telle jeune fille qui sera venue sonner la veille au soir à la porte du couvent, pleurant et suppliant qu’on la protège contre quelque danger inconnu, s’en va le lendemain matin sans même dire son nom et sans que ni exhortations ni prières puissent la retenir. Par contre, celles qui sont demeurées un certain temps dans cette division d’épreuve, et dont les dispositions paraissent sincères, sont admises presque toutes dans une autre division dite des repasseuses à neuf, dont le travail subvient en grande partie aux dépenses de la maison. Dans cette classe, l’expression dominante est une sorte de mélancolie résignée ; la figure est triste, le regard absent ; on sent que le repentir n’a pas chassé le regret et que, si leurs yeux sont constamment frappés par ces mots inscrits sur la muraille « ô éternité ! » c’est encore vers le temps passé que se reporte le plus souvent leur pensée. Après y avoir fait un séjour plus ou moins long, bon nombre de ces pénitentes en sortent, les unes pour retourner dans leurs familles avec lesquelles on les a réconciliées, les autres pour entrer dans quelque place qu’on leur a procurée. Mais quelques-unes redoutent de franchir ce seuil protecteur et d’engager à nouveau avec les tentations de la vie une lutte dans laquelle elles ont déjà succombé. Pour celles-là, une classe spéciale a dû être créée : celle de la grande persévérance, qui renferme l’élite morale de la maison et qui constitue dans son sein une sorte de tiers-ordre. Une règle absolue et qui est suivie avec une égale rigidité dans toutes les communautés religieuses ne permet à aucune pensionnaire, si purifiée qu’elle soit par le repentir, de prendre le voile dans la maison où elle est entrée comme pénitente. Mais rien ne fait obstacle à ce qu’elle s’engage vis-à-vis d’elle-même par des vœux intérieurs dans la stricte observation desquels elle trouve la paix. Dans cette division, une sorte de joie mystique règne sur les physionomies. C’est la seule où j’aie vu sourire.

La direction de cette partie de la maison qui est consacrée aux pénitentes donne beaucoup moins de souci aux sœurs que le quartier de la correction paternelle. Il est difficile de trouver dans la jeunesse parisienne quelque chose de plus rebelle que ces jeunes