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murailles suintaient la luxure et dont la destination multiple n’a point de secret pour elles, elles sont en quelque sorte baignées dans une atmosphère chargée d’une corruption contagieuse. Pendant que la sœur leur prêche la nécessité du travail et s’efforce de leur en faire prendre l’habitude, elles savent qu’à deux pas d’elles il y a des femmes oisives qui remettront demain leurs robes de soie et reprendront cette existence de plaisir lucratif dont elles n’aperçoivent en rêve que le côté brillant sans en connaître les amertumes, les rudesses et la fin. Quoi d’étonnant que ces ambitions malsaines exercent sur leur imagination plus d’empire que les austères conseils des sœurs, et qu’après avoir été pendant deux ou trois mois tiraillées entre ces deux influences contraires, après avoir traversé peut-être d’impuissantes velléités de retour au bien, elles suivent de nouveau leur pente, lorsque, rendues à la liberté et trop souvent à des familles corrompues, elles se retrouvent aux prises avec des tentations devant lesquelles elles ont déjà succombé ? Aussi ces jours de départ sont-ils jours de grande tristesse pour les sœurs, qui leur disent moins adieu qu’au revoir, et cette tristesse est plus poignante encore lorsqu’il leur faut, ainsi que cela arrive parfois, se séparer de quelque petite fille qui, habituée depuis son enfance aux brutalités d’un père ivrogne ou d’une mère débauchée, pleure lorsque ses parens viennent la réclamer, et se cramponne au tablier des sœurs, en disant qu’elle ne veut pas les quitter.

Quel remède y a-t-il moyen d’apporter à la promiscuité de Saint-Lazare ? Un seul : démolir la prison. Il y a quinze ans qu’il en est question, et le premier coup de pioche n’est pas près d’être donné. Mais lorsqu’on aura pris enfin ce parti inévitable, il faudra bien se garder de reconstruire une prison nouvelle sur le même emplacement, et cela pour deux raisons : la première, c’est que les 28,000 mètres de terrain qu’occupe la prison de Saint-Lazare représentent un capital considérable dont la réalisation diminuerait d’autant les frais de la construction nouvelle ; la seconde, c’est qu’il est mauvais d’établir une prison de cette nature dans des quartiers commerçans et populeux. Ce va-et-vient constant de la préfecture de police à la prison et de la prison à la préfecture, ces charrettes de femmes qui arrivent et partent journellement et qu’on embarque ou débarque presque sous les yeux de la population honnête du quartier, tout cela excite une curiosité malsaine et n’offre que trop de facilité au développement de la corruption. Il faut reléguer cet exutoire d’une grande ville dans les régions réservées aux établissemens insalubres. Mais lorsqu’on édifiera la nouvelle prison sur quelque terrain solitaire, il faudra veiller avec soin à ce que des raisons d’économie et la pensée de diminuer les frais généraux