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heures différentes, je ne voudrais pas répondre que jamais un bout de papier laissé dans un coin de la cour n’ait établi entre les deux quartiers de la maison qu’on devrait mettre le plus de soin à séparer un échange de communications illicites.

L’aspect de toutes ces jeunes filles, uniformément revêtues d’un costume disgracieux et d’un petit bonnet de droguin, est contraint, mais décent. Ne regardez cependant pas trop attentivement en face l’une d’elles, la première venue. Avant qu’elle ait baissé la tête d’un air hypocrite, un sourire équivoque aura passé sur sa figure, ou peut-être soutiendra-t-elle votre regard d’un air narquois et effronté. Si vous interrogez la sœur qui depuis quatre ans est chargée de la direction de ce quartier, elle vous répondra en soupirant : « Nous les gardons si peu de temps ! » La prison de Saint-Lazare, qui d’après sa classification légale est une maison d’arrêt départementale, ne doit en effet recevoir, aux termes de la loi de 1850 sur l’éducation correctionnelle, que des jeunes filles prévenues et des jeunes filles condamnées ou envoyées en correction pour six mois ou au-dessous. Je voudrais que les magistrats qui, par un sentiment d’humanité mal entendue, remettent ces jeunes filles en liberté après quelques jours de détention ou ne les condamnent qu’à des peines légères, je voudrais, dis-je, que ces magistrats eussent quelquefois la curiosité de causer avec ces sœurs pour qui la sentence rendue par eux du haut de leur siège se traduit en une réalité pratique. Ils apprendraient de leur bouche combien elles se tiennent pour assurées, lorsqu’après une instruction qui a duré trois ou quatre jours elles remettent une petite vagabonde ou une petite mendiante entre les mains de ses parens, de la voir revenir avant peu riche de quelques semaines de plus d’expérience mauvaise, et combien est illusoire toute tentative pour moraliser ces natures déjà viciées lorsque cette tentative ne dure que peu de mois. Mais au moins faudrait-il que durant ces quelques mois elles fussent placées dans des conditions aussi favorables que possible. Transplantées en quelque sorte hors de l’atmosphère où elles ont vécu et soumises à une action disciplinaire énergique, peut-être la brusquerie de cette secousse parviendrait-elle à produire sur elles une impression dont la vivacité suppléerait à l’action du temps. Il n’en est rien. La prison de Saint-Lazare est située, comme chacun sait, en plein Paris, à l’angle du faubourg Saint-Denis et de l’un des nouveaux boulevards. les rumeurs, les bouffées de la rue dans le ruisseau de laquelle elles ont la plupart traîné, montent jusqu’à ces jeunes filles et rien ne les empêche, en jetant un coup d’œil furtif par la fenêtre de l’atelier, d’apercevoir le va-et-vient des voitures et des passans. Dans cette maison, dont on a pu dire que les