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spéciaux. On cultivait en Prusse le blé, le seigle, l’orge, l’avoine, les haricots, les pois et les carottes, qui tenaient une grande place dans l’alimentation populaire. Les chevaliers introduisirent des végétaux inconnus dans le pays : ainsi sur leurs registres figurent le poivre et le safran, que l’on cultivait sur les meilleures terres de Prusse avec le houblon, et l’on n’apprend point sans quelque étonnement que dans le rigoureux hiver de 1392 les vignes et les mûriers gelèrent. On buvait alors du vin de Thorn, de Culm, de Danzig, que l’ordre gardait en tonneaux dans ses caves : il est probable qu’on le pouvait faire sans commettre le péché de gourmandise.

Dans ce pays de soldats et de laboureurs l’élève des chevaux était l’objet de soins particuliers. À la race indigène, petite et dure à la fatigue, qu’on employait au service de courrier et de la cavalerie légère, la colonisation adjoignit le cheval de labour et de grosse cavalerie. L’ordre importa en Prusse une race de bestiaux qu’il fit venir de Gothland. Les moutons y étaient en grand nombre et, si l’exportation de la laine était défendue, ce n’était pas qu’elle fût en quantité insuffisante, puisque la Prusse exportait des draps : l’ordre voulait seulement réserver aux métiers de ses villes cette matière première. Les glands des forêts de chêne nourrissaient quantité de pourceaux. Les chèvres étaient très répandues ; plus petites et plus faciles à nourrir que les vaches, on les élevait dans les châteaux, comme approvisionnement de siège. La volaille était abondante, car parmi les revenus en nature de l’ordre figurent soixante mille coqs. Ce sont les chiffres officiels des registres teutoniques qui permettent de se faire quelque idée de la richesse du pays. L’ordre possédait au commencement du XVe siècle environ 16,000 chevaux, 10,500 bêtes à cornes, 61,000 moutons, 19,000 porcs ; en tout, si l’on compte, comme il est d’usage, 8 à 9 moutons ou porcs pour une pièce de gros bétail, 41,000 têtes de gros bétail : ses domaines propres avaient une superficie d’environ 1,100 kilomètres carrés et la proportion est très convenable.

L’exportation des céréales était un des principaux objets du commerce prussien, car cette terre bien peuplée produisait plus qu’elle ne consommait. C’est que la propriété y était très divisée, l’ordre ayant renoncé de bonne heure aux concessions de grands domaines. Si la propriété trop petite est aujourd’hui un obstacle au progrès de l’agriculture, la grande en eût été la ruine dans un temps où il n’y avait pas de machine, et où la comptabilité agricole était très imparfaite et la voirie insuffisante. L’exploitation forestière était productive. On coupait dans les forêts le bois qu’on exportait sous forme de palissades ou d’arcs ; on y préparait la résine, la potasse,