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Une fois que l’ordre avait exigé des évêques les services qu’ils lui devaient, il les laissait administrer en toute liberté leurs riches domaines où ils attiraient des colons et fondaient, comme les chevaliers, des villages et des villes. C’est le trait le plus singulier du gouvernement des teutoniques qu’ils ont à la fois établi nettement les droits de l’état et laissé aux diverses classes de leurs sujets une grande indépendance. Les villes prussiennes, par exemple, sont presque des républiques. Les circonstances historiques expliquent qu’on leur ait donné cette grande liberté : le métier de colon en Prusse était dangereux au temps de la conquête, et il fallait pour attirer les immigrans leur promettre de grands privilèges ; l’ordre n’en fut point avare, et les premières villes fondées reçurent des chartes qu’auraient pu leur envier les villes allemandes les plus favorisées au XIIIe siècle. Celle de Culm, qui est de l’année 1233, reconnaît aux bourgeois le droit d’élire leurs juges. Elle délimite le territoire municipal, qui sera plus tard agrandi à la condition que les Cölmer se chargent de la garde de leur ville ; l’ordre n’y achètera pas de maison, et, s’il en reçoit par legs, il sera soumis comme tout autre propriétaire aux droits et coutumes de la cité. Les bourgeois jouiront en toute propriété de leurs biens, les transmettront à leurs descendans à perpétuité et pourront les vendre, pourvu que l’acheteur soit capable de s’acquitter du service militaire réglé sur l’étendue de la propriété, et d’une faible redevance foncière, qui est la marque de la souveraineté de l’ordre, in recognitionem dominii. Le service militaire est provisoirement exigible à toute réquisition, mais, après l’achèvement de la conquête, les bourgeois ne serviront plus que pour défendre le pays de Culm, entre la Drevenz et l’Ossa. La ville ne sera point tenue à recevoir garnison, ni à loger les troupes de passage, ni même à laisser passer ces troupes. Une seule monnaie aura cours à Culm et dans toute la Prusse, et la valeur en sera immuable. Les marchés seront francs de tous droits de péage ou de douane. Telles sont les dispositions principales de cette Culmische Handfeste, dont le bénéfice fut étendu à la plupart des villes de Prusse et aux hommes libres habitant la campagne, et qui devint ainsi comme la grande charte des libertés prussiennes. Naturellement les plus grandes villes, Danzig, Elbing, Thorn, Culm, Braunsberg, Kœnigsberg, furent les plus privilégiées ; elles s’affilièrent à la Hanse, et envoyèrent leurs députés aux diètes hanséatiques ; même elles avaient leurs diètes et leurs affaires particulières qui n’étaient pas celles de l’ordre : elles faisaient la guerre à des états avec lesquels les chevaliers étaient en paix. Un jour elles demandèrent la médiation du grand maître dans une querelle qu’elles avaient avec le roi de Danemark ; une autre fois elles lui