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opinion, mais s’estiment médiocrement les uns les autres ; du moins ils échangent de province à province de grosses méchancetés. L’Allemand du nord n’a point assez de railleries pour le Souabe ni pour le Bavarois ; il donne le nom de celui-là aux punaises et conte que, si le gros Bavarois obtenait de quelque fée l’autorisation de faire trois vœux, il demanderait d’abord de la bière à satiété, puis de l’argent à foison, et enfin, après quelque réflexion, encore de la bière. Le Bavarois du XIVe siècle n’était pas mieux traité en Prusse, et le grave Dusbourg, qui devait être un Rhénan, — son nom du moins le ferait supposer, — raconte quelque part une sotte histoire pour avoir le plaisir de rendre un Bavarois ridicule. Ces haines de clocher deviendront dangereuses, quand l’ordre sera près de sa chute, et dans les guerres civiles du XVe siècle Bavarois et Souabes combattront contre Rhénans et Saxons ; mais, en attendant ces mauvais jours, ces contingens fournis à la Prusse par les divers pays d’Allemagne y apportaient pour le bien commun leurs aptitudes particulières.

L’ordre avait créé la Prusse : c’était son titre pour y commander. Évêques, hommes libres et feudataires, bourgeois et paysans, il avait mis chacun en place et réglé les devoirs de chacun envers lui. Il avait sur tous l’antériorité et la supériorité. Sur lui, l’empereur et le pape, qui avaient jadis cédé la terre de Prusse au grand maître Hermann de Salza, gardaient une sorte de suzeraineté ; mais l’empereur n’était point en état de la faire valoir, et la curie pontificale se contentait d’en tirer des revenus. Le procurateur de l’ordre, résidant auprès du saint-siège, tenait caisse ouverte ; il faisait des présens au pape en certaines circonstances solennelles, par exemple après l’élection du grand maître ; mais, si les teutoniques ont beaucoup payé, ils n’ont rien sacrifié de leurs droits. Jamais ils n’ont permis à la curie de prélever sur leur clergé, comme elle faisait ailleurs, le centième des revenus. Jamais le denier de saint Pierre n’a été perçu en terre prussienne. Ces chevaliers, qui sont de l’église, ne craignent pas l’église. Au besoin, ils portent vaillamment l’excommunication, et quand un jugement pontifical leur déplaît, ils en appellent du pape qui s’est trompé au pape mieux informé. Les prétentions du pontife les exaspéraient quelquefois, et le grand maître Wallenrod aimait à dire qu’un prêtre suffirait par état, et qu’il faudrait pour qu’il ne pût nuire l’enfermer dans une cage de fer. Il y a peu de moines chez les teutoniques : les deux seuls riches monastères qui s’y trouvent, ceux d’Oliva et de Pelplin, sont en Pomérellie, dans une province annexée, et antérieurs à l’annexion ; en Prusse, il n’y a que de pauvres petits couvens très peu nombreux. Dans toute conquête faite par des laïques, comme celle de la Germanie par les