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de communication industrielle ou intellectuelle entre les nations, de concours internationaux (comme les expositions universelles), en un mot tout ce qui fait la matière d’une politique internationale pacifique. Ajoutons que chaque nation a son caractère propre et ses aptitudes spéciales qu’elle doit développer en face des autres peuples, ses traditions historiques, ses engagemens avec le passé et avec l’avenir qu’elle doit maintenir par les moyens légitimes, ses idées personnelles qu’elle doit tâcher de faire prévaloir dans l’humanité par toutes les voies pacifiques qui lui sont ouvertes. Il y a là matière suffisante à une grande politique nationale et internationale. Nous ne croyons donc pas M. Bluntschli fondé à dire que la théorie du contrat social et de l’état de droit « détruit toute grande politique et même toute politique. » Le droit contractuel est sans autres limites que celles de la justice même ; rien ne l’empêche d’embrasser dans les clauses du pacte national tous les objets reconnus essentiels à la conservation et au progrès communs. En revanche nous dirons à M. Bluntschli que sa théorie, très allemande d’esprit, sur le salut public comme but de l’état et sur « l’empire universel » comme but des états particuliers, l’expose à favoriser la « grande politique » de guerre, de conquête et de monarchie universelle.

En résumé, les différens types d’états dont l’histoire nous offre des exemples, l’état juridique des Américains et des Suisses, l’état économique dont l’Angleterre et la France ont offert des exemples sur certains points, l’état de culture intellectuelle et esthétique, comme Athènes, Florence, la France, l’Allemagne, l’état politique, comme toutes les grandes nations modernes, répondent à des formes diverses et plus ou moins bien comprises du contrat social. La sphère du droit est donc infiniment plus large qu’on ne le croit d’ordinaire, et en concluant de ce qui précède que l’état a pour but de donner satisfaction à la totalité des droits, nous lui aurons assigné un idéal assez élevé et un domaine assez vaste.


IV

Si la notion de contrat exprime bien la direction idéale de la société, répond-elle aussi à sa direction réelle, et les états modernes se rapprochent-ils en fait de ce qu’on pourrait appeler le régime contractuel ? Pour le savoir, nous n’avons qu’à considérer l’évolution qui, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, s’est accomplie dans l’idée et dans l’exercice de la justice sociale. L’esprit antique, en général, chercha les lois de la justice dans les rapports nécessaires des choses plutôt que dans les rapports libres des volontés : il tendait à subordonner les personnes aux choses. L’esprit moderne, au