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personnalité ayant un droit propre, non réductible aux droits des individus.

Pour commencer par les cas les plus simples, selon la méthode chère aux philosophes du dernier siècle, si deux, trois, quatre individus s’associent, qu’y aura-t-il de nouveau entre eux ? Un acte de volonté. Si au contraire un homme est soumis par violence à la volonté d’un autre, il n’y a plus là véritable association, et que manque-t-il pour cela ? L’acte de volonté. — Ainsi raisonnent les partisans du contrat pour montrer que le lien de toute association juridique est simplement, en son essence, un nouveau rapport des volontés. Sans doute les individus qui s’associent le font dans certaines circonstances de temps ou de lieu dont ils sont bien, obligés de tenir compte ; leur liberté est engagée dans des nécessités que les uns et les autres acceptent par le contrat même auquel ils consentent. N’y eût-il que deux hommes en présence, ces hommes ont déjà une histoire et une situation déterminée qu’ils ne peuvent changer ; à plus forte raison quarante millions d’hommes ont-ils une histoire, une situation spéciale et de multiples engagemens ; mais ce qui constitue entre eux une société vraiment humaine, sans préjudice de tous les autres liens, c’est l’acte de volonté par lequel ils formulent et acceptent présentement leur situation réciproque et leur passé, en se traçant une commune règle de conduite pour l’avenir. Personnifier le lien social, parler de la Société comme d’une personne dont on écrit le nom avec une lettre majuscule et qu’on oppose à l’individu comme une sorte de divinité, n’est-ce point faire de la mythologie ou, si l’on veut, de la métaphysique à la manière du moyen âge ? N’est-ce point réaliser des abstractions ? On expliquait jadis la structure d’un corps non pas seulement par les rapports et les lois de ses parties, mais par un prétendu « lien substantiel » différent du corps lui-même et qu’on appelait la corporéité. La philosophie allemande ne raisonnerait-elle point de la même manière en prêtant une personnalité métaphysique à la société, à la race, à la nationalité, à l’état ? De même pour les droits nouveaux que l’on confère à ces nouveaux êtres ; le « droit social, » le droit de l’état, le droit des races sont érigés en entités par le réalisme hégélien. Mais, s’il est vrai que le droit dans l’individu, c’est simplement la liberté réelle ou virtuelle, s’il est vrai que le droit dans la société, c’est l’égalité des libertés pour tous, par quelle opération d’alchimie les individus, en s’associant, créeraient-ils de toutes pièces un droit nouveau et opposé au leur, le droit social ? Qu’ils donnent naissance à des rapports nouveaux, à des faits nouveaux d’économie sociale, de « statique et de mécanique sociale, » de « physiologie sociale, » c’est ce que nous essaierons nous-même un jour de mettre en lumière ; mais ils ne donnent pas naissance à une nouvelle personnalité juridique. Or, à parler