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peuvent amener de telles conséquences, c’est assumer une grave responsabilité ! » Voilà la situation !

Comment sortir de là et détourner ces extrémités ? Si on attend, sans prendre des mesures, l’heure désormais prochaine où les Russes doivent quitter la Bulgarie et où les Turcs rentreront dans la Roumélie, l’explosion prévue par lord Salîsbury n’est point absolument impossible. L’insurrection ne peut compter sur « la victoire finale, » elle sera comprimée, étouffée dans le sang, c’est toujours le ministre anglais qui le dit ; mais les insurgés resteront-ils sans secours ? les Balkans ne seront-ils pas encore une fois en feu ? la Russie ne saisira-t-elle pas l’occasion de suspendre son mouvement de retraite ? Alors la question redevient soudainement européenne, militaire autant que diplomatique ; toutes les politiques se trouvent face à face comme à la veille du congrès de Berlin. C’est dans ces conditions d’une évidente gravité que le prince Gortchakof paraît aujourd’hui prendre l’initiative d’un expédient de circonstance. Le cabinet de Saint-Pétersbourg proposerait une occupation mixte et temporaire de la Roumélie par des contingens européens. Le comte Andrassy avait eu déjà, au congrès de Berlin, l’idée d’une combinaison de ce genre. Au premier aspect, c’est sans doute un moyen de détourner un pressant danger. Malheureusement, à y regarder de plus près, la difficulté n’est qu’ajournée ou déplacée et peut-être compliquée. Les conditions pratiques d’exécution ne sont même pas faciles à saisir et à préciser. Sous quelle forme d’abord se réaliserait cette occupation ? Il y a évidemment des puissances peu disposées à prendre ce rôle compromettant ; l’Allemagne, dit-on déjà, est du nombre, et la France n’aurait aucune peine à se défendre d’entrer dans ces combinaisons. La France donnera Son opinion, ses conseils et pas un soldat. L’Angleterre a sa guerre de l’Afghanistan, elle a une autre guerre dans ses possessions d’Afrique, et elle est en général peu favorable à des occupations de cette nature. L’Italie, qui n’a rien à y gagner, se décidera difficilement sans doute à envoyer quelques bataillons à Philippopoli. L’opération n’est pas des plus simples ; mais ce n’est pas tout : le principe fût-il admis, une bien autre question s’élève. Quel rôle auront les Turcs ? Si on prétend les exclure, ils protesteront, ils en auront le droit ; ils feront un embarrassant appel au traité de Berlin, et l’occupation ne sera qu’une séquestration violente de territoire accomplie malgré eux en pleine paix. Si leur admission est proposée par une des puissances occidentales, la Russie ne l’acceptera probablement pas, elle semble déjà protester, elle représentera la présence des Turcs dans la Roumélie comme un sujet d’irritation, comme un obstacle à la pacification. De toute façon, c’est une crise de plus dans l’exécution du traité de Berlin.

Les difficultés, si réelles, si graves qu’elles soient, ne sont pas