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internationale. » Il se plaisait à « tourner en ridicule l’œuvre de Berlin, la commission de la Roumélie orientale, tout ce qui avait été fait au congrès et depuis, traitant tout d’opérette d’Offenbach, de comédie, de bouffonnerie, et employant d’autres expressions semblables. » Il ne parlait pas du reste avec beaucoup plus de respect de ses cliens de Bulgarie, ajoutant d’un ton leste « qu’entre Russes et Anglais tout le différend portait sur ceci, que les Anglais étaient les amis de la canaille turque, tandis que les Russes soutenaient la canaille bulgare. » Et le prince Doudoukof-Korsakof couronnait la peinture pittoresque de l’anarchie de ces contrées en disant sans façon ; « Après cotre départ le déluge ! » Le gouvernement anglais a joué à la Russie le mauvais tour de donner dans son Blue-Book une place d’honneur au récit de cette scène, tel que lord Donoughmore le lui a envoyé.

Il n’est pas sûr, à la vérité, que le prince Doudoukof parlât bien sérieusement ou qu’il ait absolument fait depuis tout ce qu’il disait, et il est encore plus douteux que ce fût là réellement l’expression de la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg. La Russie n’a cessé au contraire d’attester l’intention de se conformer au traité de Berlin ; elle l’a dit par ses circulaires, par toutes ses voix officielles, elle l’a répété et confirmé avec plus d’autorité encore par les déclarations de l’empereur Alexandre lui-même. Ce qui est certain, en dépit de toutes les déclarations diplomatiques, c’est que la Russie, croyant peu à l’efficacité d’une séparation de la Bulgarie et de la « Roumélie orientale, » n’a rien négligé pour ruiner d’avance cette combinaison plus ou moins heureuse, dans tous les cas sanctionnée par l’Europe. Elle s’est bien plutôt étudiée à préparer la fusion qu’elle avait proposée et qu’elle désirait. Si elle n’a pas contrarié absolument la commission européenne dans son œuvre, elle ne l’a pas secondée. Elle a tout fait pour exciter et entretenir les animosités nationales, pour rendre impossible la restauration de l’autorité turque dans la Roumélie, elle a formé une administration provisoire ennemie du sultan, elle a recruté des milices locales qu’elle a confondues avec les milices bulgares, qui à un moment donné ne peuvent qu’être un instrument de résistance et de collision. La Russie a créé une situation redoutable, inextricable pour l’heure de la rentrée des Turcs, et ce n’est pas sans raison que lord Salisbury, dans une communication destinée au prince Gortohakof, disait il y a quelques semaines : « Le passage d’un système à l’autre sera aussi violent et soudain que possible, et ceux qui sont disposés à s’y opposer peuvent voir dans la conduite de l’administration actuelle un encouragement formel à la révolte… Cette résistance serait stérile sans doute, car elle se heurterait à des forces très supérieures eh nombre ; mais elle pourrait mener à un renouvellement des souffrances sans exemple que ces contrées ont endurées pendant la dernière guerre. Encourager les illusions qui