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Ferry, nouveau venu au pouvoir, est visiblement impatient de se signaler ; il tient à montrer son activité, et il laisse aussi se déployer autour de lui toute sorte d’activités qui se manifestent parfois sous des formes étranges. La régénération est à l’ordre du jour au ministère de l’instruction publique et des beaux-arts ! Ce qui est certain c’est que M. Jules Ferry, entrant dans son rôle avec l’intrépidité d’un homme qui ne connaît point d’obstacles, se hâte de porter du premier coup aux chambres plusieurs projets dont l’un est décoré par un singulier euphémisme du titre de « loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. » Il y a dans ce projet deux choses : il y a la restitution à l’état de la collation des grades, qui n’a rien d’imprévu, et il y a un ensemble de dispositions dont l’unique effet peut être de rendre toute liberté illusoire. Il y a particulièrement, à propos de l’enseignement supérieur, cet article 7 qui dit en propres termes : « Nul n’est admis à participer à l’enseignement public ou libre, ni à diriger un établissement d’enseignement de quelque ordre que ce soit, s’il appartient à une congrégation religieuse non autorisée. » Ceci commence à devenir clair.

Lorsque M. Jules Ferry revendique pour l’état le droit de conférer les grades qui ouvrent les carrières publiques, il ne fait rien de nouveau, rien d’extraordinaire ; il ne propose que ce qu’avait proposé avant lui M. Waddington dans son passage au ministère de l’instruction publique, ce que M. Bardoux proposait plus récemment. M. Jules Ferry, comme ses prédécesseurs, veut remettre l’état en possession d’une prérogative dont il n’aurait pas dû être dépouillé, rien de mieux. Cette collation des grades est un droit de l’état, et si les auteurs de la loi de 1875 qui a fondé la liberté de l’enseignement supérieur avaient eu plus de prévoyance, ils auraient respecté ce droit : ils auraient enlevé d’avance tout prétexte aux atteintes dont leur œuvre est aujourd’hui menacée. S’il ne s’agissait que de la collation des grades, la cause serait déjà gagnée ; mais M. Jules Ferry ne s’en tient plus à la réforme simple et équitable que M. Waddington et M. Bardoux avaient proposée ; il va plus loin, et il est même fort clair que dans sa pensée la collation des grades n’est que la moindre des choses, que la partie essentielle de la loi nouvelle est l’article qui interdit l’enseignement de quelque ordre que ce soit aux membres des « congrégations religieuses non autorisées. » En d’autres termes, c’est une entreprise préméditée, combinée contre l’intervention des influences religieuses dans l’éducation publique, une tentative déclarée de réaction contre l’ensemble des lois qui depuis trente ans ont fondé la liberté de l’enseignement en France. M. Jules Ferry ouvre le feu, et il est si pressé qu’il ne se donne même pas le temps de mettre un peu d’ordre dans la campagne qu’il entreprend. Il propose une loi sur l’enseignement supérieur, et dans cette loi il introduit d’une manière presque subreptice un article qui du