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naturalisme aurait la partie trop belle, si « l’idéalisme » en littérature se réduisait à l’art de dire avec une infinité de métaphores ce qu’on pourrait dire, non pas aussi bien, mais beaucoup mieux, en quatre mots. Je crois en avoir dit assez pour donner aux lecteurs le désir de connaître les Buveurs de poison.

J’ai tant parlé du style de M. Ulbach et du style de M. Richepin, qu’il ne me reste plus de place pour parler du style de M. Claretie. Reconnaissons d’ailleurs que le Troisième dessous[1] est un roman facile, intéressant à lire, quelqu’un même a dit : « captivant, » en tout cas, fort habilement fait et mené par un homme qui n’ignore aucune des rubriques du métier. Ce n’est pas M. Claretie qui laisserait quelque chose à l’aventure de l’inspiration, et si vous voyez dès le début du roman l’un de ses personnages prendre une leçon d’escrime, ne doutez pas qu’aux approches du dénoûment ledit personnage ait un duel. A quoi tient-il cependant que, malgré toutes les habiletés et toutes les préparations, l’intrigue flotte, qu’elle marche sans se nouer, et que sans se dénouer elle finisse par finir ? Je ne sais, mais la chose est certaine, comme il est certain aussi qu’il n’y a rien dans ce Troisième dessous, et que pourtant il y a de tout.

Le comédien Roquevert ayant épousé Mlle Geneviève Pesquidoux, un fils leur est né. Ce fils, qui se nomme Henri, s’éprend d’une affection fraternelle pour Mlle Hélène Gervais, élève du Conservatoire. Sur quoi, le vieux Roquevert étant près de mourir, il se découvre qu’Hélène Gervais est la fille de Geneviève Pesquidoux. Ainsi c’était la voix du sang qui parlait chez Henri. Alors le vieux Roquevert meurt, Hélène Gervais meurt, et l’on ne sait ce que deviennent Henri Roquevert et Geneviève Pesquidoux. Voilà, — comme dit un personnage du Troisième dessous. Mais ce qu’on ne saurait dire aussi brièvement, c’est ce que M. Claretie a jeté d’incidens au travers de cette intrigue, et dans ce cadre, un peu pauvre, ce qu’il a fait mouvoir de personnages. J’ai compté un enterrement, une noce, trois agonies, un duel, une représentation extraordinaire au théâtre des Batignolles, plusieurs représentations ordinaires au Théâtre du boulevard, une représentation de café-concert, une répétition générale, une première, un concours au Conservatoire, des scènes d’intérieur, quelques scènes de violences, une scène de folie ; mais je n’ai pas tout compté. En outre, j’ai rencontré, chemin faisant, plusieurs comédiennes, plusieurs comédiens, quelques peintres, un sculpteur, un directeur de théâtre, un auteur dramatique, une fille qui dupe son amant, une femme qui trompe son mari, que sais-je encore ? Deux ecclésiastiques et un membre de l’Institut. Le membre de l’Institut

  1. Le Troisième dessous, 1 vol. in-18. Dentu.