Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/702

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnage de roman, c’est que l’on a de certaines façons de dire à placer et que l’on est maître d’un certain nombre de procédés dont on veut essayer l’effet. Que M. Richepin y prenne garde : en prose comme en vers, tel est le commencement de l’artifice, et c’est ainsi qu’à la longue, ayant débuté par faire de l’art, on finit par faire du métier. Le procédé coutumier de M. Richepin est l’abus de la métaphore. M. Richepin, pour imiter le style dont il se sert, est un outrancier de la synecdoche et un paroxyste de la catachrèse. « C’était, dira-t-il d’un de ses personnages, un merveilleux causeur… Le corps tout en gestes, il jouait ses conversations en cabriolant sur le tremplin des phrases. » Il tracera plus loin un portrait ; « Sa femme, vieille fille à la figure enluminée de couperose, faisait penser à un cierge tombé dans de la confiture. » Ou bien encore, parlant d’un roman que son héros vient d’achever, il écrira : « Pour être sûr d’un placement immédiat dans les journaux, ces bouillons Duval du roman, Lucien aurait dû brasser une grosse ratatouille, tandis qu’il avait assaisonné, un plat fin qui ne pouvait se servir que dans les revues, ces cabinets particuliers du journalisme. » Passons les figures outrées, les journalistes « embusqués dans les maquis de la petite presse, » laissons les gens de lettres qui « s’ouvrent le crâne pour arracher avec leurs doigts une idée de leur cerveau ; » n’essayons pas de pénétrer l’incompréhensible, ces femmes étranges « à la fois déesses et enfans, incarnations de la nature nimbées d’innocence comme de petites filles. » Évidemment il y a là deux choses : une grande habileté de main, et dans l’avenir, je l’espère, le don de trouver, de créer l’expression. Mais il faudrait, pour que ces qualités eussent vraiment leur prix, que la préoccupation de les produire ne fût pas, comme elle l’est dans Madame André, par trop évidente : il faudrait surtout que ce souci de l’effet et de l’image ne dictât pas au romancier des pages entières aussi complètement étrangères à son sujet qu’au bon goût. A la vérité, si l’on décrit une maladie, rien de plus naturel que de comparer à une bataille la lutte acharnée du médecin contre les approches de la mort. Je ne m’étonnerai donc pas que M. Richepin écrive : « On eût dit une bataille souterraine où la maladie poussait des mines que le docteur contre-minait. » Mais au moins que l’on s’arrête, que l’on ne continue pas, deux pages durant, la description, que l’on ne poursuive pas la métaphore impitoyablement et que l’on ne termine pas sur ces lignes bizarres : « On arrivait au soir de la bataille, quand la retraite se change en déroute, mais aussi quand la victoire se gagne par une charge de cavalerie. Le docteur commanda la charge et lança cette vieille garde des remèdes, les stimulans. La fièvre fut sabrée à coups de toniques, par les éthers, le xérès amontillado au quinquina, le musc, l’esprit de mindererus. En quarante-huit heures on emporta la position. » Des remèdes qui sont une charge de cavalerie, la cavalerie qui