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trois ou quatre pièces par exemple, tout inspirées de ce mépris du bourgeois qui ne messied pas à la jeunesse, d’une belle poésie, d’une langue vigoureuse et saine. Mais il n’est pas facile de citer M. Richepin.

Fort heureusement pour M. Richepin, le bourgeois est bon homme. Il pardonne beaucoup au talent. Aujourd’hui comme jadis, en pleine saison du naturalisme comme aux beaux jours du romantisme, il lui plaît assez d’être battu. On lui dit qu’il n’entend goutte aux choses d’art ni de poésie, il en rit et il achète. On le traite de haut en bas, comme un indigne de dénouer seulement les cordons de souliers du gueux, il s’épanouit la rate et il enlève l’édition. Rien de mieux, mais il faut savoir s’arrêter à propos. Autrement, par excès de haine d’une prétendue convention, il arrive que l’on tombe insensiblement soi-même dans l’artificiel et dans le convenu. C’est qu’à dire le vrai, s’il est permis au début, et surtout quand on écrit envers, d’avoir contre la bêtise humaine de généreux accens d’indignation, il n’est permis ni de vivre longtemps ni de voir beaucoup sans trouver les excellentes, les honnêtes, les respectables raisons des choses dont on se moquait le plus, avec le plus de verve et d’amertume. Pour ne citer qu’un seul exemple, on passera volontiers cette strophe au poète, et vingt autres semblables :

— Ils disent, en se rengorgeant :
« Vous n’êtes pas de ma famille,
Sans-le-sou, voyez mon argent,
Tope, vous n’aurez pas ma fille. »


Mais on pardonnera, moins aisément au romancier de n’avoir que des railleries pour cette vertu de l’épargne, si française, garantie de l’indépendance, sauvegarde de la dignité, et qui tant de fois déjà dans notre histoire nationale n’a pas été moins qu’un instrument de patriotisme et de liberté. M. Richepin n’aurait-il pas encore ouvert les yeux à cette évidence ? On serait tenté de le croire quand on sort de lire Madame André[1]. Sa prose ne vaut pas ses vers, son roman ne vaut pas sa Chanson.

Lorsqu’on veut donner au lecteur quelque idée d’un roman, d’ordinaire on commence par en débrouiller l’intrigue et l’on ne parle guère qu’en dernier lieu du style et de la manière de l’écrivain. Renversons une fois le procédé. Commençons par étudier ce genre de style. Il n’est pas nouveau, mais, il est le genre de toute une jeune école où l’on apprend à écrire d’abord, et plus tard, ou jamais, à penser. Si l’on y fait des vers, ce n’est pas qu’en effet on ait quelque chose à chanter, c’est, pour s’exercer au maniement des mots, des rimes et des rythmes, et, si l’on écrit un roman, ce n’est pas que, l’on ait rencontré sur sa route un

  1. Madame André, 1 vol. in-18. M. Dreyfous.