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REVUE LITTERAIRE

Madame André, par M. Jean Richepin. — Les Buveurs de poison, par M. Louis Ulbach. Le Troisième dessous, par M. Jules Claretie.

« Prenez, disait un habile homme, une tempête, un songe, cinq ou six batailles, trois sacrifices, des jeux funèbres, une douzaine de dieux,.. et remuez le tout jusqu’à ce que l’on voie mousser l’écume du grand style : » c’est Pope, je crois, qui donne quelque part cette recette pour brasser un poème épique, à moins encore que ce ne soit Jonathan Swift, en son savant traité sur l’Art de couler bas en poésie. Que ce soit Swift, ou Pope, ou peut-être un troisième, toujours est-il qu’en changeant quelques mots et rajeunissant quelques détails, comme qui’ dirait en mettant la tempête sous un crâne, on aurait la formule d’un assez bon nombre de nos romans contemporains. Et c’est là pourquoi sans doute, lorsqu’on vient de lire quelques douzaines de romans à la mode, — j’entends romans de haut goût, romans qui se vendent, comme dit M. Zola, — il n’est pas facile de résister à l’exemple du doyen de Saint-Patrick et d’éloigner de soi la tentation d’écrire un traité sur l’art de couler bas dans le roman. Le beau sujet, l’admirable matière, et comme il semble que les noms, que les titres en foule se multiplieraient sous la plume ! Ou si l’on prenait la question plus sérieusement, de plus haut, de plus loin, et que, voulant sonder la profondeur du mal, on essayât de montrer d’abord ce que depuis cinquante ans il a fait de progrès, la triste, mais curieuse étude que l’on pourrait tracer de la dégradation des types dans le roman ! La conception de l’amour, d’année presque en année s’abaissant, s’avilissant, se ravalant, et ces folles passions d’autrefois devenues dans notre temps une débauche de l’imagination d’abord, puis un bestial appétit des sens, un cas pathologique enfin ; — les Indiana, les Valentine, les Fernande métamorphosées en Emma Bovary, la demi-paysanne, demi-bourgeoise d’Yonville transformée