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couche sociale qu’on appelle la classe moyenne cultivée a rompu à jamais avec le libéralisme courant et témoigné de sa conversion aux principes conservateurs par son désir de voir fortifier la puissance de l’état. Que sa guérison soit complète, on ne saurait encore l’affirmer, mais il est incontestable que sur un point du moins elle est en pleine convalescence. Grâce à la politique vigoureuse et monarchique du chancelier de l’empire, les aspirations parlementaires et démocratiques, raffinées ou grossières, ont trouvé à qui parler, et, la classe moyenne a reconnu les dangers du parlementarisme, la nécessité d’un gouvernement fort et absolu autant que possible… Ce sont là les grands et heureux résultats de la politique intérieure de Bismarck ; on ne pouvait nous rendre un service plus essentiel, et c’est grâce à lui seul que tous les états dont se compose l’empire allemand, désabusés l’un après l’autre des chimères de la liberté constitutionnelle, participent aux bienfaits d’une politique aussi libre que conservatrice. » M. Klee prévoit qu’avant peu les parlementaires eux-mêmes, abjurant leurs funestes erreurs, supplieront le chancelier de ne plus considérer le Reichstag que comme une chambre d’enregistrement et de leur retirer jusqu’au droit de remontrance. Alors sera accomplie la mission du grand médecin providentiel, qui rend l’ouïe aux sourds, la vue aux aveugles et qui pour leur bien ôte l’usage de la parole aux bavards. Qu’en pensent MM. Lasker et Richter ? Il est à craindre qu’ils ne meurent dans l’impénitence finale ; mais, longtemps avant de mourir, ils auront passé à l’état de phénomènes ou de bêtes curieuses, et quand ils se promèneront sous les Linden, les gamins de Berlin montreront du doigt le dernier des libéraux, le dernier des progressistes, mélancoliques représentans d’une espèce perdue. Peut-être y aura-t-il encore en ce temps-là beaucoup de socialistes et quelques régicides. Hélas ! il n’est pas de bonheur complet, mais si on ne peut en finir d’un coup avec les monstres, c’est un bon commencement que de purger le monde de tous les ergoteurs.

« Le génie original de M. de Bismarck a jeté un audacieux défi à toutes les doctrines modernes, s’écrie le docteur Klee… Ce n’est pas par de vaines théories, c’est par ses actions qu’il a remis en honneur de vieilles et indestructibles vérités et délivré l’Allemagne de la superstition pédantesque qui lui faisait chercher le salut dans des idées nouvelles, importées de France ou d’Angleterre. Aussi avons-nous le droit de le proclamer le sauveur de l’humanité. Héros victorieux, il a converti presque tout le monde à ses idées créatrices, fondées sur de vieux principes depuis longtemps éprouvés, et il a fait la conquête de l’opinion publique. Les fruits de la réforme qu’il a opérée sont déjà manifestes, mais l’avenir seul en sentira tout le prix et glorifiera comme il le mérite ce dompteur de la révolution, ce destructeur des