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retraçant à grands traits son histoire, il était résolu d’avance à n’y rien trouver qui ne fut admirable. A la vérité, il s’est cru tenu en conscience de relever certaines actions douteuses, qui le chagrinaient ou l’offusquaient ; mais il leur a fait grâce, il leur a appliqué le bénéfice des interprétations bénignes et complaisantes. Il a très peu de goût, par exemple, pour le Kulturkampf, attendu que le Kulturkampf a fait la joie des libres penseurs, des mécréans, des radicaux, de tous ceux qu’il regarde comme les ennemis de Dieu ; mais il a consacré plusieurs pages à démontrer qu’en guerroyant contre Rome, M. de Bismarck nourrissait cependant à l’égard du saint-siège les dispositions les plus pacifiques, et qu’en faisant une œuvre agréable aux radicaux, il n’avait garde de faire cause commune avec eux, qu’il ne s’agit en tout cela que d’un malentendu fâcheux qui sera bientôt dissipé, que ce conflit passager tournera à l’avantage de la religion et de l’église, dont le chancelier de l’empire germanique est le chaud défenseur et le protecteur dévoué. Nous avouerons que, sur ce point, les explications de M. Klee nous ont paru obscures ou un peu louches, bien que d’habitude il écrive d’un style clair et net ; nous avons pensé en les lisant au mot de lord Clarendon, qui, lors de la guerre de Crimée, disait à propos d’un général qu’on lui envoyait de Berlin pour lui expliquer la politique prussienne dans la question d’Orient : « On m’envoie de Berlin, pour m’expliquer une chose inexplicable, un monsieur qui ne sait pas ou ne veut pas s’expliquer. »

M. Klee reconnaît que sur deux autres points la conduite de M. de Bismarck a prêté le flanc à la critique, fourni matière à des objections ou à de fâcheux étonnemens. Les conservateurs pourraient lui reprocher d’avoir failli à sa mission en usant de trop de mansuétude, de trop de longanimité à l’égard du parlement et d’avoir conclu avec les nationaux libéraux des compromis attentatoires à sa dignité ; ils pourraient lui reprocher aussi d’avoir introduit en Allemagne ce fléau, cette peste, qu’on appelle le suffrage universel ; mais M. Klee a réponse à tout. En ce qui concerne le suffrage universel, il ne cherche pas à excuser ou à disculper M. de Bismarck, il le loue hautement du parti qu’il a pris, et la raison qu’il en donne est curieuse. Il déclare que tous les systèmes électoraux sont radicalement mauvais, attendu que le meilleur état social serait celui où il n’y aurait ni élections, ni électeurs, ni élus. N’est-il pas déplorable de laisser croire aux peuples qu’ils doivent confier le soin de leurs intérêts à des mandataires nommés par eux à cet effet, tandis que l’histoire nous enseigne que « la volonté nationale n’est vraiment représentée que par la couronne et par le glaive, par le roi et son armée ? » Mais du moment qu’il faut en passer par là, le suffrage universel, bien qu’il soit un produit et une importation de la France révolutionnaire, est de tous les modes d’élections le moins dangereux, le plus inoffensif, le plus conservateur, le plus monarchique, pourvu qu’on