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subi plutôt qu’approuvé, mais qu’au surplus on ne pouvait lui faire un crime d’en avoir su tirer parti pour capter la bienveillance de l’empereur Napoléon III, dont il avait besoin pour le succès des grandes entreprises qu’il méditait. Il ajouta qu’aussi bien, en ce temps-là, il n’avait pas encore approfondi les principes de l’économie politique, et qu’il s’était fait un devoir de s’en rapporter provisoirement aux hommes qui font autorité dans cette science, mais que depuis il s’était livré à de sérieuses études et qu’il se flattait d’être devenu un économiste compétent. — « Avant que je fusse entré au ministère, poursuivit-il, on me refusait toute capacité politique, de même qu’aujourd’hui on me conteste le droit d’exprimer mon opinion en matière économique. Je me souviens que, lorsque je fus nommé envoyé plénipotentiaire à la diète de Francfort, je trouvai dans les feuilles qui appartenaient aux amis de M. le député Richter, peut-être à ses pères et oncles, l’observation que voici sur ma personne : — Cet homme, si on lui confiait le commandement d’une frégate ou si on lui proposait de se charger de quelque opération chirurgicale, répondrait sûrement : Bien ; je n’ai pas encore tâté de la chose, mais j’en veux faire l’essai. — Qu’en pensez-vous, messieurs ? Cette opération chirurgicale, elle a été faite depuis à votre satisfaction, si je ne me trompe. Je me rappelle encore qu’à l’époque où je devins ministre, on disait dans les feuilles libérales du temps : Comment peut-on confier la première place à cet individu, diesem Menschen ? Je ne sais si en dépit de toutes les chicanes, de toutes les piqûres d’épingle, de toutes les critiques dénigrantes que j’ai essuyées, j’ai rempli cette place d’une manière satisfaisante, et si M. le député Richter, qui porte sur moi un jugement fort tranchant et fort dédaigneux, aura raison devant les contemporains et la postérité, ou bien si l’on me reconnaîtra, après dix-sept années passées à la tête des affaires, le droit de dire aussi mon mot sur les questions économiques. Là-dessus j’attends avec confiance la sentence de mes contemporains ; je ne veux pas parler de la postérité, c’est trop pathétique pour moi. »

M. de Bismarck profita de cette occasion pour déclarer hautement que certains éloges qu’on lui décerne lui sont aussi désagréables, sonnent aussi mal à son oreille que les critiques et même les injures des malveillans. Après s’être plaint des fâcheuses dispositions que professe à son égard la Gazette nationale, ce journal officiel du parti national-libéral, qui trop souvent « embouche la trompette guerrière, irrite les esprits, propage de sombres inquiétudes et de fausses alarmes, » il s’écria : « J’ai fait ici et ailleurs l’expérience qu’une grande partie des attaques qui devaient porter sur le fond des choses sont dirigées contre ma personne. Jadis on allait fouiller dans ma vie privée pour y chercher telle pièce de linge sale qu’on se flattait d’y découvrir et qui ne s’y trouve point ; jadis on s’efforçait de me décrier de toute façon, penchant qui