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L’éternelle question des pêcheries, source inépuisable de difficultés entre le Canada et les États-Unis, subsiste toujours, bien qu’en apparence réglée par la commission d’Halifax. Moyennant le paiement d’une somme de 27 millions 1/2 de francs, les États-Unis ont acquis pour douze ans le droit de pêche sur les côtes du Canada, à la condition de ne l’exercer qu’à 3 milles du rivage. Cette clause, d’une exécution difficile, provoque des conflits qui, tout récemment encore, dégénéraient en luttes à main armée entre les pêcheurs rivaux. Loin de s’améliorer, la situation est devenue plus grave.

À cette difficulté s’en joignent d’autres. Une ligne de frontières aussi arbitraire qu’imaginaire, sauf le cours du Saint-Laurent, sépare sur une longueur de plusieurs centaines de milles les deux états, coupant par le milieu les lacs Ontario, Érié, Huron et le Lac-Supérieur. La contrebande est facile dans ces solitudes et le tarif élevé des États-Unis lui offre l’attrait d’une prime considérable. En 1860, le sénateur Douglas avait mis en avant l’idée d’étendre à l’Amérique du Nord tout entière la pratique du Zollverein allemand. Il ne rêvait rien moins qu’une vaste union commerciale et douanière qui embrasserait le Mexique, les États-Unis et le Canada, de l’Océan arctique à la mer des Antilles, de l’Atlantique au Pacifique. Ce plan gigantesque était impraticable en raison même de son étendue. Il se heurtait à d’insurmontables difficultés de races et de climats, et ne tenait aucun compté des exigence particulières de chacune. On le vit bien quelques années plus tard, quand le vote du tarif Morrill précipita la rupture de l’Union. On reconnut alors combien il était difficile de concilier des intérêts divergens et d’appliquer au nord et au sud un régime commercial commun. Abandonné depuis, ce projet est repris en ce moment par le cabinet de Washington. Laissant de côté le Mexique, dont la situation géographique et politique se prêterait difficilement à une pareille combinaison, et avec lequel on vient de conclure un traité spécial, les hommes d’état américains estiment que cette solution mettrait un terme aux difficultés présentes et répondrait mieux qu’un traité aux exigences économiques des deux pays. A l’ombre du tarif protectionniste adopté par les États-Unis, et dont il réclame l’application, le Canada pourrait développer ses manufactures, et la liberté commerciale absolue entre les deux pays supprimerait les barrières artificielles qui les séparent et nuisent à leur progrès.

S’en tiendrait-on là, et la force des choses n’amènerait-elle pas l’annexion de la colonie anglaise ? Elle ne la désire pas, et aux États-Unis eux-mêmes les avis sont partagés. Ces « quelques arpens de neige » dépassent en superficie de vastes empires. Le Canada mesure 9,100,000 kilomètres carrés, 200,000 de moins que la