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identiques ? Pourquoi les hommes du sud, maîtres incontestés du congrès, cherchaient-ils à entraver le développement naturel de l’Union, à l’entraîner toujours plus avant vers les régions tropicales ? Avant de songer à la conquête du continent, il importait de s’assurer contre un retour offensif de l’Angleterre. « L’Amérique aux Américains, » soit, ils acceptaient ce mot d’ordre, mais la première chose à faire était de surveiller l’ennemie héréditaire. Maîtresse de Québec et de Montréal, elle menaçait la navigation des grands lacs, elle campait sur leurs frontières désarmées. N’avait-on pas assez fait pour le sud ? L’achat de la Louisiane, celui de la Floride pesaient lourdement encore sur les finances, et voici que l’on parlait d’entreprendre la guerre pour démembrer le Mexique. Les hommes du sud n’avaient pas le droit de sacrifier ainsi les véritables intérêts du pays. Les terres ne manquaient pas ; l’ouest se colonisait à peine, et d’immenses espaces incultes attendaient des bras pour les défricher. L’avenir des États-Unis était dans le nord et le Far-West. Là se trouvait leur véritable sphère d’action, là aussi le danger, l’ennemi sur lequel ils avaient conquis leur indépendance, mais qui, maître de la mer et du cours du Saint-Laurent, pouvait toujours les prendre à revers et tenter de les ramener sous un joug détesté.

L’antagonisme s’accentuait. Faibles et timides au début, les plaintes du nord commençaient à trouver au congrès d’éloquens interprètes et dans la presse naissante des organes passionnés : Charles Hammond dans la Gazette de Cincinnati, De Witt Clinton au sénat, Hale dans l’Advertiser de Boston. Leur objectif, c’était le Canada, ces « quelques arpens de neige » qui avaient bu tant de sang français, cette colonie fidèle entre toutes que le caprice d’une femme avait livrée à l’Angleterre.

A ceux qui, s’autorisant de nos revers, nient le génie colonisateur de la France et lui opposent victorieusement l’exemple de l’Angleterre, l’histoire est là pour montrer que la conquête n’est pas la colonisation, et que partout où la France a passé elle a laissé des traces profondes que le temps lui-même a respectées. En Amérique, la Louisiane et le Canada attestent encore leurs sympathies françaises et conservent l’empreinte ineffaçable de notre race. Que reste-t-il aux États-Unis des traditions anglaises et des souvenirs de la mère patrie, et si demain l’empire des Indes s’écroulait, que resterait-il de deux siècles de domination anglaise dans le cœur et dans les traditions des ryas ? New-York est cosmopolite, Boston américaine, Chicago se germanise, mais la Nouvelle-Orléans est encore française. Cherchez aux États-Unis une ville anglaise : il n’y en a pas.