Verrazani en avait pris possession au nom de la France, le Canada, peuplé par des colons normands, était français de cœur. Envahie par l’Angleterre en 1759, cédée en 1763 par le traité de Paris, la Nouvelle-France, comme on l’appelait alors, ne croyait ni au succès des Américains insurgés, ni à la possibilité pour elle-même de redevenir française. L’Angleterre y avait concentré des forces considérables. Québec possédait une garnison nombreuse soutenue par une puissante artillerie. Lorsqu’en 1775 le congrès donna ordre au général Montgomery de marcher sur cette ville, il échoua complètement et les débris désarmée américaine purent à grand-peine repasser le Saint-Laurent.
Puis le Canada était catholique, et l’élément puritain dominait dans le nord des États-Unis ; ses traditions étaient monarchiques, et ses voisins immédiats, le Massachusetts, le Maine et New-York, étaient républicains. Tout différait alors, la langue, les coutumes, la religion et les tendances. L’annexion ne pouvait être que l’œuvre du temps et de la communauté des intérêts. Les hommes d’état du sud n’avaient garde de la favoriser. Ils affichaient vis-à-vis du Canada un mauvais vouloir évident. Son refus de faire cause commune avec eux servait de texte à des allusions injurieuses. On affirmait, non sans quelque apparence de raison, que Québec, Montréal et les forts anglais situés sur la ligne du Saint-Laurent étaient des menaces permanentes pour la sécurité de l’Union, et on détournait les colons du voisinage des frontières. Les vastes forêts du Maine, les solitudes du Michigan, n’étaient encore explorées que par ces coureurs de bois et de prairies, chasseurs et bûcherons, pionniers de la civilisation, toujours en lutte avec les Indiens, et dont Fenimore Cooper a si bien décrit la vie errante et les habitudes vagabondes. Dans l’ouest, il en était autrement. Là, nulle frontière, l’horizon sans limites. On pouvait avancer. Les plaines succédaient aux plaines. Les terres fertiles de l’Ohio, de l’Indiana, de l’Illinois n’attendaient que la main de l’homme pour lui rendre au centuple le fruit de son labeur. Le sol appartenait au premier occupant. Chaque jour les trappeurs poussaient plus avant, découvrant de nouvelles vallées, des cours d’eau inconnus, des prairies peuplées de gibier. Derrière eux marchait l’émigrant, avançant lentement, mais ne reculant jamais, disputant la terre aux Indiens qui l’occupaient comme territoire de chasse, labourant avec sa carabine sur l’épaule, tuant ou scalpé, mais frayant la voie : natures énergiquement trempées, — il les fallait ainsi pour dire à leur patrie un éternel adieu, pour franchir l’Océan et pour s’enfoncer dans ces déserts, — hommes de mœurs rudes et violentes, mais capables de défricher et de peupler un continent, habiles à manier la hache, la charrue et le fusil, dédaigneux de toute civilisation, insoucians de tous droits,