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ils se montraient orateurs, hommes d’état, diplomates, seuls ou à peu près seuls au courant des questions politiques, hautains, arrogans peut-être, mais patriotes, braves et audacieux. Leurs pères avaient fondé la république, les fils la gouvernaient, et c’était justice, car ils la gouvernaient bien.

Ils n’avaient pas seulement le prestige, ils avaient aussi le droit et la légalité. Aux termes de la constitution, chaque état nommait deux membres du sénat. Le sud y possédait donc la majorité. Dans la chambre basse, il était également le maître. Le nombre des représentans n’était pas fixe, mais proportionnel au chiffre de la population. Toutefois cette organisation, qui donnait la majorité aux états du sud, ne pouvait la leur assurer qu’à deux conditions. Il fallait que leur nombre fût constamment supérieur à celui des états du nord pour dominer dans le sénat ; il fallait aussi que leur population se maintînt au-dessus de celle du nord pour conserver leur prépondérance dans la chambre des représentans. Or, d’une part, des territoires fertiles attiraient la population vers l’ouest, et de l’autre le flot de l’immigration européenne se dirigeait vers New-York. Rien en effet ne l’attirait dans le sud, où l’existence du « petit blanc, » comme on désignait l’émigrant pauvre, était difficile et misérable, entre le planteur, souverain absolu qui le tenait à distance, et l’esclave, qui ne lui laissait rien à faire. Dans le nord, au contraire, les conditions économiques étaient autres. Pas de distinctions de classes, la terre à bon marché, le travail libre, la main-d’œuvre élevée, enfin un régime démocratique qui flattait les instincts de l’artisan et le relevait à ses propres yeux. L’immigration n’avait pas encore atteint les chiffres considérables auxquels elle devait s’élever plus tard. Le mouvement a été lent. De 1820 à 1830, la moyenne annuelle des émigrans aux États-Unis ne dépasse pas 15,000. Mais les hommes d’état du sud étaient trop perspicaces pour ne pas prévoir le danger qui les menaçait et pour ne pas aviser aux moyens de le conjurer.

Il n’y en avait qu’un seul : multiplier le nombre des états à esclaves, pour cela s’étendre dans le sud, s’annexer par la diplomatie ou les armes des territoires nouveaux, situés comme les leurs, dans des conditions favorables au travail servile, détourner, si possible, le courant de l’immigration, décourager la colonisation dans le nord et dans l’ouest, et diriger vers la conquête et l’annexion du Mexique toutes les forces vives de l’Union.

Dans le nord, les États-Unis se heurtaient aux frontières du Canada. Pendant la guerre de l’indépendance, on avait inutilement tenté d’entraîner cette colonie anglaise dans la lutte engagée avec la métropole. Le Canada n’avait aucune sympathie pour les États-Unis naissans. Depuis le jour où, sous François Ier, l’Italien