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En 1823, James Monroe était président des États-Unis. Les colonies espagnoles venaient de secouer le joug de la métropole. Cette grande monarchie de Charles-Quint, sur laquelle le soleil ne se couchait jamais, achevait de s’effondrer. Après l’Europe et l’Afrique, l’Amérique lui échappait. De 1795 à 1801, nous lui avions enlevé Saint-Domingue et la Louisiane. Sous Joseph Bonaparte, ses colonies s’étaient soulevées, sous Ferdinand VII sa ruine se consommait. Le Mexique, un empire, s’affranchit le premier, puis la Plata, l’Uruguay, Buenos-Ayres, le Paraguay, le Chili, la Bolivie, le Pérou, des provinces grandes comme des royaumes, proclament et affirment leur indépendance. Sur tous les points battus, écrasés, les Espagnols cèdent après une lutte héroïque, ne conservant plus un coin de terre sur ce continent découvert, subjugué, colonisé par eux. Des merveilleuses conquêtes des Pizarre et des Cortès, de tant de sang versé, de tant d’injustices commises, de tant de richesses violemment acquises, il ne restait rien que le vague espoir d’une intervention diplomatique.

L’Europe coalisée avait renversé l’empereur Napoléon, ramené la France dans ses anciennes limites, rétabli la dynastie des Bourbons. La sainte-alliance agitait la question d’indemniser l’Espagne et de lui tenir compte de la part qu’elle avait prise à ces grands événemens, en lui restituant, sinon toutes ses colonies, du moins quelques-unes d’entre elles, le Pérou et la Bolivie. Le gouvernement anglais, sans combattre ouvertement ces velléités de restauration, les voyait avec déplaisir. George IV, l’ami de Brummel et le triste époux de Caroline de Brunswick, régnait en Angleterre. George Canning remplaçait au ministère des affaires étrangères lord Castlereagh, qui venait de se suicider dans un accès d’aliénation mentale. Non content de détacher la Grande-Bretagne de la sainte-alliance, le premier ministre fit inviter sous main le président des États-Unis à se prononcer contre toute tentative d’intervention de l’Europe dans les affaires d’Amérique, s’engageant de son côté à reconnaître officiellement l’indépendance des colonies espagnoles. James Monroe n’eut garde de négliger l’occasion qui lui était offerte d’affirmer hautement le rôle que les États-Unis se proposaient de jouer sur le continent américain. Dans un message adressé au congrès, il déclara qu’après l’exemple donné par les États-Unis et suivi par les colonies espagnoles, « l’Amérique devait être à l’avenir affranchie de toute tentative de colonisation et d’occupation étrangère. L’Amérique aux Américains ! »

Cette audacieuse affirmation dépassait de beaucoup les intentions de Canning. Elle mettait en quelque sorte l’Europe en demeure d’évacuer le Nouveau-Monde, et l’Angleterre, maîtresse depuis soixante ans du Canada, n’entendait nullement l’abandonner. Toutefois