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on compare ses travaux à ceux de ses concurrens, on est frappé de leur solidité. Cependant il s’en faut qu’elle exerce encore aujourd’hui la même prépondérance qu’il y a trente ou quarante ans, et la supériorité de son enseignement ne l’a pas empêché de faire de sensibles pertes qu’elle aurait pu, ce semble, éviter en se réformant elle-même. Ses adversaires lui reprochent, non sans quelque raison, d’avoir une tendance à négliger le côté moral de l’éducation de la jeunesse. Ils vont plus loin : ils l’accusent de professer des principes révolutionnaires et antireligieux, il faut faire la part de l’exagération et du dénigrement dans ces critiques ; mais il faut aussi faire la part de la vérité. Or la vérité, c’est que l’Université n’est plus, au même degré qu’autrefois, une grande école de discipline et de respect, c’est qu’elle s’est trop écartée de l’esprit de sa fondation. Napoléon Ier avait fait d’elle une espèce de congrégation laïque, soumise à des règlemens inflexibles, ayant à sa tête un grand-maître investi d’une autorité souveraine, comme le général des jésuites, et chargée, seule, au nom de l’état, « de l’entreprise de toutes les institutions publiques. » Il espérait ainsi « réaliser dans un état de quarante millions d’individus ce qu’avaient fait Sparte et Athènes, ce que les ordres religieux avaient tenté de nos jours et n’avaient qu’imparfaitement réalisé, parce qu’ils n’étaient pas un. » Il voulait « un corps qui soit à l’abri des petites fièvres de la mode, qui marche toujours quand le gouvernement sommeille, dont l’administration et les statuts deviennent tellement nationaux qu’on ne puisse jamais se déterminer légèrement à y porter la main. » Il pensait trouver dans ce corps « une garantie contre les doctrines pernicieuses et subversives de l’ordre social. » — « Il y a toujours eu, disait-il, dans les états bien organisés un corps destiné à régler les principes de la morale et de la politique : telle fut l’Université de Paris et ensuite la Sorbonne ; telles sont en Italie les universités de Pavie, de Pise et de Padoue ; en Allemagne, celles de Göttingue et d’Iéna ; en Espagne, celle de Salamanque ; en Angleterre, celle d’Oxford ; chez les Turcs, le corps des ulémas[1]. » Cette conception puissante d’un corps unique, seul régulateur des principes de la morale et de la politique, seul chargé de l’éducation de la jeunesse, paraît bizarre aujourd’hui ; elle choque notre libéralisme et les idées que nous nous faisons du rôle de l’état en matière d’éducation.

Pourtant, sans aller jusqu’aux ulémas, sans regretter le temps où l’Université formait une sorte de caste ayant dans l’état une fonction plus morale que scientifique, n’est-il pas permis de penser qu’elle gagnerait à reprendre dans une certaine mesure le rôle que

  1. Note de Napoléon Ier relative à l’organisation de l’Université impériale. (Paris, le 21 mars 1808.)