Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adversaires, plus il importe qu’il affirme son pouvoir et qu’il fasse sentir sa main dans ce qui lui reste.

On a beaucoup parlé d’autonomie dans ces dernières années. C’est en invoquant leur autonomie que certaines nationalités ont abusé l’Europe, intéressé les philanthropes à leur cause et provoqué d’abominables guerres où les principes les plus élémentaires du droit des gens ont été foulés aux pieds. C’est au nom de leur autonomie que des races entières ont exterminé d’autres races. Le mot a fait fortune, sans doute à cause du sang qu’il a fait répandre. Il est présentement fort à la mode ; il a remplacé la décentralisation à laquelle personne ne songe plus depuis qu’elle a cessé d’être une formule d’opposition. Dans le corps enseignant même, il a ses dévots qui lui attribuent des vertus étonnantes et des propriétés miraculeuses, entre autres celles de rajeunir et de fortifier. C’est, dit-on, d’émancipation et d’indépendance qu’a surtout besoin notre haut enseignement. Les bureaux l’oppriment, l’administration gêne son développement et paralyse ses efforts. Il faut le livrer à lui-même : alors, mais seulement alors, on verra de quels progrès il est capable. — Ce langage, a-t-on besoin de le dire, est celui d’une très petite minorité de fonctionnaires agités et mécontens, qui voudraient faire prendre le change à l’opinion publique et se décharger sur cet être impersonnel qui s’appelle l’administration des responsabilités qui leur appartiennent en propre. La vérité c’est que la liberté est le fonds qui manque le moins à notre enseignement supérieur, et si l’on devait faire un reproche aux bureaux ce serait bien plutôt de n’avoir pas eu depuis vingt-cinq ans la main assez ferme. Si de fâcheuses habitudes se sont introduites dans le corps enseignant, s’il s’est en plus d’un endroit endormi dans un doux far-niente, c’est que l’administration a beaucoup trop pratiqué vis-à-vis de lui la doctrine du laisser faire. Sans doute l’Université ne saurait être menée comme un régiment ; elle a droit à de grands égards et l’on éveillerait chez ses membres de justes susceptibilités en leur faisant trop durement sentir le joug. Mais encore faut-il qu’elle soit conduite. Il n’y a pas de corps, si élevé qu’il soit, si haut qu’il porte le sentiment du devoir professionnel, qui n’ait besoin de frein ; autrement l’anarchie s’y glisse et le désordre y règne.

Mais ce n’est pas seulement le désordre et l’anarchie qu’il faudrait craindre de la part d’universités autonomes. L’institution de pareils établissemens serait pour l’Université le commencement de la fin. Elle porterait un coup funeste à l’idée, déjà bien assez décriée, de l’état enseignant. Il y a toute une école aujourd’hui qui voudrait, au nom de la liberté, retirer à l’état l’éducation de la jeunesse. Quelle force ne donnerait pas aux théoriciens de cette école la création de cinq ou six grands centres universitaires absolument