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enseignement public, n’est plus à faire, et l’Université de France a pu, sous l’effort de l’opinion, renoncer à son monopole. De même, elle pourrait sans grand inconvénient, pense-t-on, renoncer à l’avantage singulièrement illusoire d’entretenir à grands frais, dans toutes nos anciennes provinces, des établissemens animés d’une vie toute factice, et qui ne rapportent ni beaucoup d’honneur au corps, ni de sérieux profits à la communauté. Il y a telle faculté des lettres qui n’a fait, depuis vingt-cinq ans, qu’un seul docteur. On en par le encore comme d’un événement extraordinaire. La plupart délivrent péniblement chaque année cinq ou six diplômes de licenciés, souvent à des jeunes gens venus de Paris dans l’espérance de trouver des jurys plus indulgens et des concurrens moins nombreux. Par exemple elles font toutes un assez grand nombre de bacheliers. En 1876, la faculté des lettres de Besançon en a reçu 101, celle de Caen 218, celle de Clermont 113, celle de Dijon 140, celle de Grenoble 97, celle de Poitiers 264, celle de Rennes, 181, etc.

Mais où serait le mal, si la production de la France en bacheliers diminuait un peu ? Nous n’avons que trop de ces jeunes gens qui, pour avoir fait de prétendues études littéraires, dédaignent les carrières industrielles et commerciales, et mettent toute leur ambition à obtenir un emploi du gouvernement. Où serait le mal si les progrès de la bureaucratie et de l’esprit bureaucratique s’arrêtaient ? Notre pays a trois fois plus d’employés qu’il ne lui est nécessaire, et si la disparition de quelques facultés de province devait avoir pour résultat de ralentir un mouvement qui préoccupe à bon droit les économistes, il faudrait plutôt s’en réjouir que s’en plaindre.

Il ne saurait toutefois être question, dans cette réforme de quelques-uns de nos établissemens, de toucher à la constitution même de notre enseignement supérieur, et de créer au sein de notre vieille Université de France des universités privilégiées formant des corps autonomes, indépendans et sans autre rapport avec l’administration centrale que ceux qui existent entre le contribuable et le percepteur. Cette conception bizarre d’une classe de fonctionnaires, émargeant au budget, payés par la communauté et cependant affranchis de toute obligation professionnelle, de tout lien de dépendance vis-à-vis de l’état et de ses représentans peut avoir séduit quelques esprits faux. Aucun homme sensé ne saurait s’y arrêter ; rien ne pourrait être plus fatal aux bonnes études que ce relâchement de la surveillance et cette diminution de l’autorité du gouvernement. C’est bien assez que l’état ne soit plus seul à enseigner, c’est-à-dire à façonner l’âme des jeunes générations. Qu’il garde au moins sur ses établissemens, sur son personnel, sur les méthodes et l’esprit de l’enseignement, le droit de contrôle et d’investigation qu’il a toujours exercé. Plus il a donné de liberté à ses