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des branches de campaka, a-t-il pu te donner un cœur de pierre ? » La religion consacrait ces idées. Les fleurs, qui ne se flétrissent pas sur la tête des dieux, révèlent leur présence aux humains, et lorsqu’ils rient ou qu’ils parlent, des fleurs tombent de leurs lèvres. Les contes occidentaux n’ont pas perdu tout souvenir de ces merveilles. Chez Perrault, une jeune fille ayant, avec une grâce charmante, donné à boire à une fée, celle-ci lui accorde la faveur de voir les paroles qui s’échappent de sa bouche transformées en fleurs et en perles. Dans le Pentamerone de Basile, une fée, auprès d’une fontaine, déclare à Marziella que, lorsqu’elle rira, les roses et les jasmins tomberont de ses lèvres, et que, lorsqu’elle marchera, les violettes et les lis pousseront sous ses pieds.

Si entre les mains d’une magicienne la plante est si puissante, comment lui résister quand sa fleur est lancée par l’arc même du dieu de l’amour ? Dans le troisième acte de Çakountalâ, ce chef-d’œuvre du théâtre hindou, Kâma est appelé « celui qui a des fleurs pour armes » (kusumâyudha). « Les flèches de Kâma, dit le Saptaçataka de Hala, ont un pouvoir très varié ; elles sont très dures quoiqu’elles ne soient en somme que des fleurs ; elles nous brûlent insupportablement, même quand elles ne nous touchent point. » Kâlidâsa, l’auteur de Çakountalâ, ajoute que lorsque ces fleurs sont lancées, elles deviennent, dans le cœur blessé, dures comme les pointes de diamant. On pense à ce fragile roseau de Virgile qui devient si facilement mortel dans le cœur atteint par la flèche du fils de Vénus, — hœret letalis arundo ! Une strophe qui fait partie du Saptaçataka de Hala, publié par le professeur Weber, nous apprend que les fleurs du manguier (Kâmâyndha, arme d’amour), qui au printemps éveillent l’amour dans le sein des jeunes filles, sont les flèches de Kâma. On dit habituellement que chacune des fleurs de l’arc est une fleur correspondant à une des cinq sensations, une joie modérée, une joie folle, un trouble, une folie, une distraction. On ne s’accorde pas sur le nom des fleurs, mais le manguier se trouve dans toutes les combinaisons. Pour un cœur épris, chaque fleur n’a-t-elle pas la vertu d’un philtre ? Il en est ainsi pour cette amante dont par le une légende du Pendjab : dans le narcisse elle voit ses yeux ; les roses lui rappellent la couleur et l’odeur de ses vêtemens ; les épines la font songer aux cils de ses yeux[1].

Les Latins ayant à leur tour considéré la fleur comme un symbole de fécondité, — Junon, après avoir touché une fleur, conçoit le dieu Mars, — il n’est pas surprenant que les magiciens, héritiers et conservateurs des primitives traditions, s’en servent pour

  1. Hir et Randjhah.