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d’enthousiasme du Bodhi ; il ne le cède guère au Bouddha lui-même. L’arbre sacré Bo (ficus religiosa) est, selon M. Gerson, l’objet le plus vénéré de l’île de Ceylan. Cet arbre est né d’une branche de l’arbre célèbre d’Uruvela, qui fut tant d’années témoin des solitaires méditations de Çakya.

Là même où l’enthousiasme n’inspirait pas de pareilles exagérations, l’arbre émerveillait les esprits par sa miraculeuse fécondité. Quelle était la limite de cette fécondité ? L’imagination, alors si puissante, n’en apercevait pas les bornes. Cet être étrange, qui ne s’épuisait jamais, tout en produisant à profusion les feuilles, les fleurs et les fruits ; que l’homme avait trouvé en possession du globe ; dont la durée faisait un tel contraste avec la fragilité de l’existence humaine ; qui contenait tous les élémens de la vie, l’eau (la sève) et le feu, n’était-il pas un mystérieux ancêtre de l’humanité ? Si les Juifs croyaient que la terre était l’élément dont Jéhovah avait formé le premier homme, d’autres étaient portés à penser qu’il y avait eu, à l’origine des choses, un véritable « arbre de vie », dont l’arbre de la Genèse, le Gaokerena créé par Ahoura-Mazda (Ormuzd), et l’Ilpa des Hindous, semblent être une image fort incomplète. Même dans notre Europe, où rien ne donne une idée de la vie surabondante des végétaux de la zone tropicale, nous voyons les anciens accorder aux chênes le nom significatif de « premières mères, » idée qu’on retrouve dans le conte par lequel on satisfait la curiosité des enfans piémontais et dans l’opinion que les petits Allemands ont de leur origine[1]. Chez les Scandinaves, l’Edda nous parle du véritable « arbre de vie, » le célèbre frêne Yggdrasil, dont les fruits sont des hommes. Ce géant du monde végétal, montagne de verdure qui s’élève jusqu’à la voûte des cieux, enfonce dans le sol trois énormes racines : l’une pour le passé, l’autre pour le présent, la troisième pour l’avenir. Son éternelle verdure symbolise l’éternité de la vie du monde. « Près de l’arbre, dit la Voluspa, trois jeunes filles arrêtent la destinée des fils du temps. » Le grand arbre toujours vert qu’on voyait près d’Upsal, « dont personne, dit Adam de Brème, ne connaissait l’espèce, » représentait sans doute sur la terre Scandinave l’arbre-ancêtre des adorateurs d’Odin. L’Irminsul des Germains, comme le Skambha védique, sont d’autres noms de l’arbre cosmogonique, symbole de la vie universelle. Pour les sectateurs du mazdéisme, l’homme sort de la terre comme un arbre ; sa première apparence est celle d’un végétal. Dans le Boundehesh, les humains naissent sous la forme de la plante Reiva (Rheum ribes). Dans l’Inde, un hymne du

  1. Une vieille souche ou un arbre. — Voyez Mannhardt, Germanische Mythen.