l’avait envoyé comme gouverneur à Kharkof. C’est là que le général Krapotkin a été frappé à l’improviste d’un coup mystérieux ; il a été assailli dans sa voiture au sortir d’un bal, et, comme toujours, l’assassin s’est dérobé, la police le cherche encore. Le prince Krapotkin ne paraissait pas avoir excité des animosités à Kharkof, c’est donc l’exécution suivie d’un plan révolutionnaire qui se manifeste par le meurtre et qui est certes savamment organisé. Vainement on s’efforce de pénétrer ce mystère plein de menaces. Toutes les recherches semblent assez vaines jusqu’ici. On met bien la main sur quelque imprimerie clandestine servant à la propagande démagogique ; on ne saisit pas le complot, qui a visiblement ses mots d’ordre, ses séides prêts à tout, et qui semble marcher dans l’ombre sur les pas des plus hauts fonctionnaires. Sans prétendre rien grossir, il n’est pas moins vrai que ce sont là les symptômes d’une situation morale singulièrement troublée, et l’impuissance de la police russe en face de ce ténébreux travail d’implacables conspirateurs n’est pas le phénomène le moins curieux. La Russie, après avoir cherché et cru trouver dans la guerre une diversion heureuse, un surcroît de puissance, se retrouve le lendemain en face d’elle-même avec des difficultés intérieures qui désormais ne feront peut-être que grandir.
L’Allemagne, elle aussi, ne laisse pas d’avoir ses embarras et ses crises. M. de Bismarck lui-même, avec sa toute-puissance, n’est pas toujours à l’aise au milieu des mille préoccupations de son œuvre de conquête à soutenir, de réformes économiques à réaliser, de la paix à faire avec Rome, de la sûreté intérieure à défendre contre les socialistes allemands, qui ne sont pas moins inquiétans que les nihilistes russes, du parlement à conduire. M. de Bismarck, c’est bien clair, ne trouve pas tout facile autour de lui, et il ne semble pas pour le moment fort disposé aux concessions libérales, parlementaires. Il est d’humeur assez morose contre les libéraux aussi bien que contre les socialistes, et un jour ou l’autre, peut-être d’ici à peu, il pourrait bien montrer qu’il n’est pas encore prêt à laisser émousser son autorité, à passer sous le joug des partis. Il s’est borné jusqu’ici à quelques saillies assez rudes qui équivalaient à des menaces. Il n’a pas ménagé ses adversaires dans cette discussion qui vient d’avoir lieu au Reichstag sur la loi de discipline parlementaire qu’on a appelée aussi la « loi muselière. » M. de Bismarck, dans un mouvement d’irritation contre les excès de langage qui avaient le privilège de se répandre à la faveur de l’immunité parlementaire, s’est laissé aller à présenter cette loi qu’on vient décidément de lui refuser sans trop de façon. Les libéraux-nationaux, ses anciens alliés, comme les progressistes, comme les socialistes, ont voté contre la loi et ont contribué à l’échec définitif de la proposition du gouvernement. Le chancelier n’a pas tardé à laisser éclater sa mauvaise humeur. Dès le lendemain, à l’improviste, à propos de la peste bovine,