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Un millier de faits négatifs ne valent pas un seul fait positif, et par malheur il existe des faits bien avérés de contagion, ne fût-ce que la mort des médecins de Vetlianka, du pope qui assistait les malades à leur dernier moment, et des cosaques chargés d’enterrer les cadavres. Il y a un autre fait bien probant : c’est l’histoire de ce navire qui, venant d’Orient et arrivant à Marseille, apporta la peste avec lui (1720). Mais, à supposer même que le fait de la contagion soit douteux, il y aurait une imprudence grave à n’en pas tenir compte. Le vieil adage : un remède incertain vaut mieux que l’absence de remède, reste toujours vrai. La peste est à Vetlianka et à Astrakhan : c’est très probablement un mal contagieux ; il faut donc s’opposer à son extension.

Les médecins russes réunis à Saint-Pétersbourg, les membres de la commission internationale qui à la fin du mois de janvier s’est réunie à Vienne, ont été à peu près d’accord sur la nécessité de prendre des mesures énergiques. Quelques-uns ont même soutenu qu’il fallait disperser, puis interner les habitans de Vetlianka, de Prichiba, etc., brûler les maisons, les habits, tous les objets des pestiférés, incinérer les cadavres, en un mot purifier par la flamme les villages où la peste a établi son séjour. Il est probable que des mesures moins rigoureuses ont été prises. Cependant le général Loris Melikof et le docteur Norden, envoyés à Astrakhan avec pleins pouvoirs, ont dû recourir à des moyens assez brutaux pour mettre l’épidémie en déroute. On ne peut les en blâmer. La peste est assez brutale pour qu’on ne soit pas tenu de garder des formes avec elle. D’ailleurs, sur les précautions prises dans la stanitza de Vetlianka, comme aussi sur l’état sanitaire actuel de la région, nous ne savons rien ou presque rien.

Des mesures rigoureuses ont été prises pour qu’aucun objet ne passe de la zone infectée dans la zone saine. Les lettres, les vêtemens, les marchandises sont au préalable soumises à des fumigations d’acide phénique ou d’acide sulfureux. Quant aux personnes, elles doivent subir une sorte de quarantaine avant d’entrer en Russie. On a pu de cette manière empêcher la ville de Tsaritzine d’être atteinte par l’épidémie : la préservation de cette ville a une grande importance. Tsaritzine, située sur le Volga, est, la tête de ligne de deux chemins de fer, l’un qui va à Moscou et fait ainsi communiquer tout l’intérieur de la Russie avec Astrakhan et la mer Caspienne, l’autre va à Taganrog, port de la mer d’Azof qui est en relation avec Odessa, Varna et Constantinople. Il est clair que, si la peste venait à sévir dans Tsaritzine, il serait bien difficile d’arrêter sa marche. Bientôt les ports de la mer d’Azof d’une part, et d’autre part Nijninovgorod et Moscou seraient atteints à leur tour.

Heureusement on n’a signalé aucun cas bien authentique de peste en dehors des limites de la stanitza de Vetlianka. Il y a quelques jours