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vérité, mais elles ne pénètrent pas assez au fond des choses, et surtout elles n expliquent pas la durée exceptionnelle du malaise Il y avait cependant à relever des circonstances qui, pour avoir un effet moins patent, n’en exercent pas moins une action considérable, peut-être décisive. Il est un fait surtout qui nous a frappé depuis longtemps, qui mérite d’attirer tout particulièrement l’attention des hommes d’état, et dont en tout cas on ne s’est pas encore suffisamment préoccupé.

Le fait que nous désirons mettre en lumière, et dont nous voudrions tirer les principales conséquences, c’est la rupture de l’équilibre entre l’agriculture et l’industrie. On ne saurait sans doute établir un rapport proportionnel fixe, permanent, mathématique entre ces deux grandes branches du travail national, mais on sent qu’un certain rapport doit exister, et que le corps social en souffrirait, si les organes de la vie économique n’étaient pas combinés d’une manière rationnelle. Un pays purement agricole est toujours un pays pauvre ; généralement il est arriéré, souvent il est gouverné despotiquement. Un pays purement industriel ou commercial manquerait de solidité, ce serait comme un navire sans lest que le premier coup de vent peut faire sombrer. Dans le monde civilisé l’agriculture a longtemps prédominé, mais peu à peu l’industrie a demandé sa place au soleil et elle se l’est faite de plus en plus large. Assez longtemps, chacun de ses progrès était un pas en avant fait par la civilisation, ou du moins se rattachait à un progrès de l’humanité. C’était la consolidation d’un régime gouvernemental plus libéral ; c’était la durée plus grande des périodes de paix ; c’était des découvertes scientifiques merveilleuses. C’est à la science que l’industrie doit ses plus beaux triomphes. Il y a des siècles, les savans consultaient plutôt leur imagination que les faits, ils se contentaient souvent de retenir ce que d’autres avaient rêvé ; peu à peu, ils se sont mis à étudier la nature, bientôt ils lui ont posé des questions directes, ils ont expérimenté et, moitié effort, moitié chance, ils lui ont arraché ou surpris de précieux secrets. Savoir c’est pouvoir : cet axiome s’applique ici dans son sens littéral. Savoir, c’est dominer la vapeur, c’est guider l’électricité, c’est posséder les trésors de la physique et le pouvoir de la chimie, la mécanique, les richesses de l’histoire naturelle.

Se figure-t-on bien toute la portée des découvertes et des applications scientifiques, la grandeur des effets qu’elles ont exercés sur la société moderne ? Signalons un résultat de ces progrès auquel peu de personnes songent : c’est le doublement de la population européenne ou à peu près, depuis le commencement de ce siècle. Nous ne pouvons reproduire ici tous les chiffres qui seraient nécessaires pour montrer de combien chaque pays a vu s’accroître le